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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/163

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ments, les auteurs, fouilleurs de la vie comme ils ont été les fouilleurs de la langue, ont fait des tableaux plutôt qu’un livre. Ils ont montré, avec une conscience et une perspicacité pénétrantes, les mœurs et les idées de la génération des peintres qui commence vers 1840, à l’époque « où le grand mouvement révolutionnaire du Romantisme, qu’avaient vu se lever les dernières années de la Restauration, finissait dans une sorte d’épuisement et de défaillance, » mais où restaient, au front de l’art, deux noms qui étaient deux cris de guerre : Ingres et Delacroix. Avec des documents pris sur nature, les deux auteurs ont fait de la vérité synthétique et jeté leurs croquis, leurs indications et leurs notes dans un moule qui les a rendus, après l’alliage, avec la frappe et la précision de médailles définitives. Il n’y a pas grand’raison pour chercher Drolling sous le masque de Langibout, Hippolyte Flandrin sous Garnotelle, Chenavard sous Chassagnol, Millet, Rousseau et Jacques sous le paysagiste Crescent. Manette Salomon vaut mieux qu’un livre à clef. Si la plupart des peintres qui étaient en possession d’une juste notoriété à la fin de l’Empire, alors que les Goncourt écrivaient leur livre, ont fourni quelques caractéristiques aux figures qui devaient entrer dans leur œuvre, les modèles d’un instant ont assez perdu la marque de leur individualité pour que les types rentrent dans le grand courant des créations générales.

Où le livre vaut surtout, avec une vigueur et une justesse étranges, c’est dans les discussions d’art, à bâtons rompus, qui sillonnent le récit, à l’improviste, comme ces boutades que Diderot fait sauter, comme des mines, sous ses Salons. Les périodes, saccadées et puissantes, comme l’électricité d’un courant interrompu, se prêtent merveilleusement aux sabrades de style. Là,