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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/184

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être d’un blond un peu ardent, on ne les voyait pas blancs : dans leur fouillis frisé, ils paraissaient couleur de poussière et empêchaient de lire son âge au-dessus de son front, un front de volonté. Sur ce front, deux grandes rides avaient été tracées à la naissance du nez par la contention du regard, l’effort de la saisie des choses, la croissance du presbytisme, l’usage du lorgnon à deux branches, la fatigue et le clignotement de ses yeux qui lui faisaient voir, pendant quelques secondes, grimaçants et pleurants, les gens qui entraient dans son atelier. Sous des sourcils épais et fournis, un œil gros, saillant, avec un blanc très blanc, rayé de filets de sang, et une prunelle devenant d’un bleu très intense lorsqu’il s’animait. Le nez fort, avec un méplat charnu et carré au bout ; un visage coloré, sanguin, ayant aux pommettes les reflets rouges et les blancheurs d’un métal chauffé à blanc ; dans le teint, l’espèce de chaleur et de ton recuit d’un vieux portrait flamand ; des traits de figure robustes, accentués, un peu peuple, mais adoucis par des charmes, des éclairs soudains, des grâces délicates de physionomie, un sourire de l’œil fin, câlin, spirituel, tendre, aimant, inoubliable pour ceux qui en ont eu la caresse. Tel était l’homme physique. »[1]

Gavarni eut sur ses jeunes amis une influence dont les trois parties du Journal, qui ont été publiées, portent une très large trace. Son nom revient à chaque page, comme à un sujet d’étude inépuisable. Au reste, une affinité d’esprit très caractérisée agrafait le dessinateur et ceux qui devaient être ses biographes. Ils étaient, comme lui, des jugeurs féroces et désenchantés. Ils avaient en commun un fond de misanthropie

  1. Gavarni, édit. Charpentier, in-18, p. 335.