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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/222

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comme sur un cliché de collodion, les spectacles qui le frappaient. On a pu lire quelques-uns des extraits qui vont suivre dans un supplément du Figaro, mais la plupart sont absolument inédits et sont tirés de la partie du Journal qui ne sera donnée entièrement au public que vingt ans après la mort de l’auteur :

Dimanche, 28 août 1870. — Dans le Bois de Boulogne, là où l’on n’avait guère vu jusqu’ici que de la joie entre le vert des arbres, j’aperçois un grand morceau de blouse bleue : le dos d’un berger près d’une petite colonne de fumée blanchâtre et, tout autour de lui, des moutons broutant, à défaut d’herbe, le feuillage de fascines oubliées. Partout des moutons et, dans le creux d’un sentier, couché sur le côté, un bélier mort, la tête aux cornes recourbées tout aplatie, et d’où suinte un peu d’eau sanguinolente, élargissant, petit à petit, une tache rouge dans le sable, — pauvre tête que flaire, comme dans un baiser, toute brebis qui passe.

Dans les allées des calèches, de grands bœufs hagards et désorientés, vaguent par troupes. Un moment, c’est un affolement. Par toutes les percées, par tous les trous de la feuillée, l’on aperçoit un troupeau de cent mille bêtes éperdues se ruer vers une porte, une sortie, une ouverture, semblables à l’avalanche d’un fougueux dessin de Benedetto Castiglione.

Et la mare d’Auteuil est à moitié tarie par les bestiaux buvant agenouillés parmi les roseaux.

Mardi, 6 septembre. — Au dîner de Brébant, je trouve Renan assis tout seul, à la grande table du salon rouge et lisant un journal avec des mouvements de bras désespérés. Arrive Saint-Victor qui se laisse tomber sur une chaise et s’exclame : « L’Apocalypse… les chevaux pâles ! » Nefftzer, du Ménil, Berthelot, etc., se succèdent et l’on dîne dans la désolation des paroles des uns et des autres. On parle de la grande défaite, de l’impossibilité de la résistance, de l’incapacité des hommes de la Défense nationale. On stigmatise cette cruauté prussienne qui recommence Genséric. À quoi Renan dit : « Les Allemands ont peu de jouissances, et la plus grande qu’ils peuvent se donner, ils la placent dans la haine, dans la pensée et la perpétration de la vengeance ! » Et l’on remémore toute cette haine vivace qui