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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/223

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s’est accumulée, depuis Davoust, en Allemagne, s’ajoutant à la haine léguée par la guerre du Palatinat et dont la colère expressive survivait dans la bouche de la vieille femme qui me montrait, il y a quelques années, le château d’Heidelberg.

Des choses du siège quelques-unes sont éparses dans la Maison d’un artiste. À la page 22 du tome I, l’auteur a raconté la décollation d’une poule blanche et les remords qui lui en restent. Le petit salon rouge d’Auteuil, rehaussé par ses bordures noires, sur les murs duquel vivent maintenant, d’une vie charmante et calme, les trois crayons de Watteau, les sanguines des Saint-Aubin et de Boucher, n’a pas conservé trace de l’exécution sanglante auxquels les obus prussiens qui arrachaient l’air d’un bruit strident faisaient un accompagnement tragique.

Samedi, 29 octobre. — Les guinguettes, les jeux de boule de Romainville sont fermés ; il n’y a plus, sur cette route aimée du Parisien que des chiens errants de toute race, lamentablement maigres, et tournoyant, comme affolés, à la queue les uns des autres.

Il pleut, et, au delà de la bande verte du champ que je traverse, j’aperçois ce qui est devant moi, avec les couleurs noyées et l’incertitude d’un paysage vu à travers la buée d’un carreau. Bientôt cependant, sortant de la bruine lointaine, à travers les hachures de la pluie, se dessinent des silhouettes étranges d’hommes et de femmes qui, en se rapprochant de moi, me semblent le défilé d’une Cour des Miracles ! C’est la rentrée des maraudeurs. Il y a toutes les laideurs habillées de toutes les fantaisies de la loque. On y voit des attelées d’hommes poussant de lourds chariots chargés de pommes de terre, à côté de petits enfants traînant quelque chose de vert dans une boîte à cigares attachée au bout d’une ficelle. On y voit, marchant courbées, ployées en deux, des femmes aux robes luisantes de pluie, les bas jambardés de boue jusqu’au derrière. Un y voit d’autres femmes qui, des retroussis de leurs cotillons s’étant fait des poches tout autour d’elles, mettent au jour de grands morceaux impudiques de chair. On y voit encore des fillettes qui, dans l’effort de porter un petit sac sur leurs