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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/233

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dans leur esprit, n’avaient pas encore forme d’art quand Jules mourut. Edmond rouvrit le dossier et, remontant aux causes, il fut conduit impérieusement, par leur enchaînement, à créer une œuvre qui a tourné peu à peu à la monographie et dans laquelle l’action, presque nulle, laisse la part très grande au document et à la physiologie. Reproche-t-on à l’auteur d’avoir introduit la science dans l’art à dose très élevée, et étudié, avec trop de précision, dans son milieu obscur, le vice machinal, presque inconscient, où la tyrannie de l’éducation et de l’exemple, la toute puissance des milieux ont conduit le plus souvent ses victimes ? Il se dégage de la lecture de la Fille Élisa une profonde pitié. La visée morale est très apparente et, dans les descriptions techniques, l’auteur, domptant son émotion, emploie une modestie de facture et une réserve qu’ont dû lui reprocher bien durement ceux qui, alléchés par les promesses du titre, cherchaient seulement dans son livre de libidineuses descriptions.

L’écrivain fut le premier à souffrir de son œuvre ; il ne parle jamais qu’avec tristesse et dégoût des bas-fonds où il dut s’embourber pour pénétrer dans les dessous de son sujet. On lira dans ses mémoires posthumes inédits :

Vendredi, 20 novembre 1874. — Par le vent froid qu’il fait ce matin, en montant vers Saint-Cloud pour gagner Versailles, dans l’excitation d’une marche presque courante, mon roman (la Fille Élisa) commence à prendre une apparence de dessin dans ma cervelle. Je me résous à mettre dans le renfoncement et le vague d’un souvenir toutes les scènes de bordel et de cour d’assises que je voulais peindre dans la réalité brutale de la mise en scène ; et les trois parties de mon roman se condensent en un seul morceau.

Dimanche, 22 août 1875. — Aujourd’hui je vais à la recherche du document humain aux alentours de l’École mili-