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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/251

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qui pousse plus avant encore la précision d’analyse dont il avait usé dans ses autres livres, M. de Goncourt a débrouillé l’écheveau de sensations insaisissables et indescriptibles. L’analyse poussée à ce point deviendrait facilement un instrument plus scientifique que littéraire, si la témérité du tour, la langue même brusquée pour ne pas amoindrir la pensée, ne la rattachaient pas complètement à l’art. Au reste, un écrivain ne crée sa langue par ces trouvailles d’expression qui font la fortune d’une phrase, par ces mots pris dans le sens étymologique qui vivent par eux-mêmes, sans la vie factice de la comparaison, qu’à la condition d’avoir pensé par ceux qu’il fait parler et vécu leur vie psychologique. C’est l’art tout entier « à sa proie attaché » qui ouvre un sujet, le pénètre de lumière, prend son empreinte sur la chair vivante et la jette à la foule, comme une médaille de bonne frappe, sans bavure et l’arête vive.

Toute la démonstration porte sur « l’infiltration dans l’existence réelle de l’existence imaginaire » de la comédienne, sur « l’étrange conflit de deux sensibilités coexistantes en un même cœur ». Et ce conflit amène, à son point culminant, au moment de l’agonie, une scène qui a soulevé beaucoup de répugnances, bien qu’elle soit exactement calquée sur la réalité. L’auteur lui-même, dans la partie inédite de ses mémoires posthumes, a raconté son origine :

7 février 1882. — Aujourd’hui Vallès blague mon agonie sardonique… Eh bien oui, la scène de cette agonie sardonique est une invention, une imagination, mais possible, mais vraisemblable, et je ne l’aurais pas risquée sans un renseignement. Voici ce qui est arrivé à Rachel. Elle avait une vieille bonne à laquelle elle était très attachée et dont j’ai fait la Guénegaud. Cette vieille bonne tombe malade chez sa maîtresse, très gravement malade, et, une nuit, on vient réveiller la tragédienne et lui apprendre que la malade agonise. Rachel des-