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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/314

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Néris va remettre le papa, redonner au fils un peu de teint. Nous retrouvons dans ce pays éloigné tout dans le même état qu’il y a deux ans ; les promenades ne sont pas plus belles, ni plus nombreuses les distractions, ni moins ahuris les habitués, et Néris, dans sa laideur, est comme ces femmes qui ne perdent rien à vieillir et n’ont jamais à regretter. C’est une monotonie d’horloge à musique, ramenant les bains, les repas, les réunions sous le même arbre, avec un assez joli horizon de pommiers frôlant des gazons.

À peine a-t-on le courage de lire, de travailler un peu. M. Zézet[1] surtout se désole à l’idée des devoirs ; il est si gâté, si admiré de tout le monde. Léon monte des chevaux qui regrettent de ne pas être des ânes ; mais cela me tourmente quand même et il n’y a pas, pour lui, d’autres distractions que ces courses et des parties d’échecs dans un petit salon où des vieilles dames font de la tapisserie, tandis que nous causons avec un sourd ou que l’on fait un peu de musique. Et lui qui ne rêve que chic, bals, cols montants, sorti de ses cahiers de mathématiques !

Je vois que Jean d’Heurs vous retiendra longtemps cette année et que Saint-Estève aura tort de toutes parts. L’épidémie a pourtant beaucoup diminué, mais les routes sont à craindre, qu’en pensez-vous ? À moins que, d’ici la fin du mois, ceci disparaisse tout à fait. Pas de chance, nos villégiatures en commun, quand nous serions si heureux d’un peu d’intimité auprès de vous.

Alphonse doit vous écrire, mais le traitement l’éprouve beaucoup pour commencer, l’endort et l’énerve. Ces longs bains d’eau chaude où des gens s’occupent à faire des jets d’eau avec leurs doigts pour abréger le temps, — il y a une recette pour cela que l’on s’apprend a table, — la douche qui suit, c’est vraiment une grande fatigue. Et des dames en traitement ont toujours les yeux rouges d’envies de pleurer. C’est toujours si ennuyeux de se soigner, mais Alphonse achète, en ce moment, le repos de son hiver. Tout notre tort a été de voyager l’année dernière et de sacrifier Néris à la Provence.

Si vous avez le courage de nous écrire un peu, ce sera charitable, vous si calme, si indépendant dans votre Auteuil. Quand je pense à une idéale vie d’art, c’est toujours la vôtre qui me vient à l’esprit.

Alphonse et moi, vous envoyons notre souvenir affectionné et les enfants ne vous oublient pas non plus.

Julia A. Daudet.

  1. M. Lucien Daudet.