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Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/345

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n’aurais peut-être pas écrite si j’avais été le seul auteur de mes livres, mais j’avais à parler au nom de deux mémoires, au nom d’un mort et d’un qui va le faire.
Amitiés tendres.
Edmond de Goncourt.

Et voici, en substance, ce qu’il écrivait en tête de Chérie :

Dans la presse, en ces derniers temps, s’est produite une certaine opinion s’élevant contre l’effort d’écrire, opinion qui a amené un ébranlement dans quelques convictions mal affermies de notre petit monde. Quoi ! nous, les romanciers, les ouvriers du genre littéraire triomphant au dix-neuvième siècle, nous renoncerions à ce qui a été la marque de fabrique de tous les vrais écrivains de tous les temps et de tous les pays, nous perdrions l’ambition d’avoir une langue rendant nos idées, nos sensations, nos figurations des hommes et des choses !… Non ! le romancier qui a le désir de se survivre continuera à s’efforcer de mettre dans sa prose de la poésie, continuera à vouloir un rythme et une cadence pour ses périodes, continuera à rechercher l’image peinte, continuera à courir après l’épithète rare, continuera, selon la rédaction d’un délicat styliste de ce siècle, à combiner dans une expression le trop et l’assez… Puis, toujours, toujours, ce romancier écrira en vue de ceux qui ont le goût le plus précieux, le plus raffiné de la prose française, et de la prose française de l’heure actuelle, et toujours il s’appliquera à mettre dans ce qu’il écrit cet indéfinissable exquis et charmeur, que la plus intelligente traduction ne peut jamais faire passer dans une autre langue…

Deux ou trois mois avant la mort de mon frère, à la sortie de l’établissement hydrothérapique de Béni-Barde, tous deux nous faisions notre promenade de tous les matins, au soleil, dans une certaine allée du bois de Boulogne où je ne repasse plus, — une promenade silencieuse, comme il s’en fait, en ces moments de la vie, entre gens qui s’aiment et se cachent l’un à l’autre leur triste pensée fixe.

Tout à coup, brusquement, mon frère s’arrête et me dit :

— « Ça ne fait rien, vois-tu, on nous niera tant qu’on voudra, il faudra bien reconnaître un jour que nous avons fait Germinie Lacerteux et que Germinie Lacerteux est le livre