Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/365

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hovo. C’était un fonctionnaire du ministère de la guerre, un certain Boudilovitch, jeune homme au corps malingre mais à l’âme ferme : un jour, il s’était permis de déclarer à la foule irritée qu’elle ne valait pas le petit doigt de ceux qu’elle insultait… C’était le seul crime qu’on eût à lui reprocher. Le deuxième ou le troisième jour de ma détention, je trouvai, dans mon cachot, un numéro de journal, un seul, qui y avait pénétré par hasard (peut-être l’y avait-on introduit à dessein !). J’y lus cet édit, que le gouvernement provisoire communiquait au sénat :

« Le général de division Dénikine, commandant en chef des armées du front Sud-Ouest, est destitué de son poste et déféré aux tribunaux pour rébellion.

A. Kérensky, ministre-président.

B. Savinkov, administrateur du Ministère de la Guerre.»


D’autres édits semblables furent signés le même jour ; ils concernaient les généraux Kornilov, Loukomsky, Markov et Kissliakov. Le général Romanovsky fut révoqué plus tard.

Deux ou trois jours après notre emprisonnement, la commission d’enquête vint commencer ses interrogatoires, au corps de garde. Elle était dirigée par le général Batogue, procureur militaire en chef sur notre front, et présidée par Kostitsyne, adjoint du commissaire. Les membres en étaient :

Le commandant Chestopérov, chargé des affaires juridiques du commissariat ;

Le commandant Frank, juge au Tribunal militaire de l’arrondissement de Kiev ;

Oudaltzov, aspirant, et Loewenberg, artificier en second, membres du Comité du front.

Ma déposition, fondée sur les données positives de l’affaire, fut extrêmement brève. Elle se ramenait aux déclarations suivantes : 1° Parmi les personnes arrêtées avec moi, aucune n’avait coopéré à des menées antigouvernementales ; 2° Toutes les décisions passées, les derniers jours, par l’état-major et se référant au mouvement Kornilov émanaient de moi seul ; 3° J’avais jugé et je jugeais encore criminelle et pernicieuse pour le pays la politique du gouvernement provisoire. Néanmoins je n’avais pas suscité de révolte contre lui. En lui adressant ma dépêche n° 145, je l’avais autorisé à me traiter comme il le jugerait bon.

Quand Chablovsky, procureur militaire en chef, étudia le dossier de l’affaire et connut les circonstances qui avaient accompagné l’instruction, à Berditchev, il fut effaré de la « tournure imprudente » de ma déclaration.

Le 1er septembre déjà, Jordansky fit savoir au Ministère de la Guerre que la commission d’enquête avait en mains des documents établissant le fait du complot… En même temps, il demandait au gouvernement s’il pouvait procéder contre les généraux arrêtés