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Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/204

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De sa chaise à l’écart, tout en fumant, François observait et écoutait. Depuis sa terrible aventure, il était devenu plus taciturne encore, fuyant la commisération publique, se retirant des personnes et des choses. Il marchait avec une claudication légère ; chaque jour, il réapprenait à manier son mousquet ; mais il ne pourrait plus pagayer.

Mal éclairée par le feu de l’âtre et une couple de bougies, la pièce bruissait du chuchotement des conversations : à part les membres de la famille, se voyaient aussi madame Hache, madame Sarrazin, monsieur et madame Malherbe, Sébastienne.

Celle-ci avait maintenant quatorze ans. Elle se révélait en pleine floraison, embellissant chaque jour, allongeant ses robes, se douant de coquetterie et de turbulence. De son allure prime-sautière, sans réserve, elle vint s’asseoir à côté de François.

— Tu vas devenir interprète ?

— La Compagnie a eu quelquefois besoin de mes services ; je me suis rendu au magasin.

— Quand les Attikamègues sont venus ?

— Oui.

— Les commis ne savaient que faire après la mort de Godefroy ?

— Personne ne les comprenait, répondit brusquement François.

Prononcer ainsi légèrement le nom de Godefroy, devant lui, n’était-ce pas débrider une plaie d’une main brutale ? Avec ce compagnon, il avait couru fleuve et forêt, remonté le Saint-Maurice, la Mataouin, couru plus d’un danger. Les Iroquois, le printemps dernier, l’avaient tué à la tête de trente Attikamègues, en arrière des Trois-Rivières. Enveloppé par des forces supérieures, le jeune homme avait combattu pendant deux jours.

— Godefroy était ton ami ?

— Oui. Godefroy était mon ami.