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Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, cinquième série, 1922.djvu/11

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tons pied à pied contre tant d’inlassables ennemis.

Hélas ! les mauvais souvenirs aussi habitent le Refuge. Est-ce que pendant dix ans, vingt ans, et plus, ils nous regarderont de leurs yeux hostiles qui crispent le cœur ? Dirons-nous qu’ils sont un bienfait aussi ? je le crois. Malgré leur amertume, peut-être à cause de leur amertume, ils purifient en brûlant, et la mémoire, clémente et juste, peu à peu atténue certaines choses, en excuse d’autres, et doucement les pardonne toutes. Elle est aussi indulgente que juste, aussi bonne que clairvoyante, cette grande amie des pauvres hommes faibles et tentés.

Que ne pratiquons-nous mieux le culte de la mémoire ! Nous hésiterions à lui créer de mauvais souvenirs lourds à porter. Ceux qui nous blessent et nous angoissent ne sont pas ceux de nos épreuves et de nos chagrins. Non, ce qui nous fait plus mal, c’est la mémoire de nos lâchetés, de nos trahisons d’un idéal librement choisi.

Il y a des méchants qui ne reculent pas devant l’indignité de salir les souvenirs dans une âme qui en conservait précieusement le culte. C’est un crime, le pire des crimes : c’est tuer l’âme de ceux qui vivent et tuer de nouveau ceux qui sont déjà morts. Il suppose tant de malice et d’habileté qu’il est rare. Nous gardons nos souvenirs si jalousement ! Pour les protéger nous les entourons de silence, ils habitent notre âme