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Page:Destutt de Tracy - Élémens d’idéologie, première partie.djvu/237

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J’ai lu, il n’y a pas long-tems, dans un ouvrage de métaphysique, estimable à beaucoup d’égards, cette phrase singulière :

    et on ne peut se servir, pour l’évaluer, que des mots plus, moins, peu, beaucoup, et autres adverbes de quantité qui n’ont qu’une valeur indéterminée. C’est ce qui se remarque d’une manière bien pénible dans la conversation des gens qui ont l’habitude de s’exprimer d’une façon inexacte ; ils vous disent qu’un homme a cent fois plus de talent qu’un autre ; c’est comme s’ils vous disaient seulement qu’il en a beaucoup plus ; et le moment après ils vous diront qu’un lieu est prodigieusement plus éloigné qu’un autre : ils devraient vous dire qu’il est deux, trois, quatre fois plus loin.

    On me dira que, dans les nombres abstraits, l’unité n’a aucune valeur déterminée, d’accord ; aussi aucun nombre abstrait n’a-t-il jamais une valeur déterminée ; seulement les rapports de chacun d’eux avec le nombre un sont fixés de la manière la plus précise et la plus invariable, et cela suffit pour les calculer, c’est-à-dire pour les comparer ; car tous les calculs que l’on fait sur les nombres abstraits ne sont jamais que des comparaisons établies entr’eux, et ces nombres ne prennent une valeur réelle que quand on en donne une au nombre un ; mais pour adapter ces nombres à un effet quelconque, il faut que les parties de cet effet soient aussi nettement distinctes entr’elles que ces nombres le sont entr’eux.

    Il demeure donc vrai que la possibilité d’appliquer