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nombre. Ainsi nous pouvons prononcer avec les idéologistes que je citais tout à l’heure, que sans signes nous ne penserions presque pas.

La question qui suit celle-là dans l’ordre naturel des idées, est encore plus délicate ; c’est de savoir jusqu’à quelle classe d’idées et à quel degré de combinaison peut nous conduire chaque espèce de signe. Plusieurs auteurs ont décidé qu’il n’y a que les signes articulés, les mots, qui puissent nous élever jusqu’aux idées abstraites : mais je crois que cet arrêt mérite examen. D’abord nous avons vu que ces opérations qu’on appelle abstraire et concraire sont toujours réunies dans la formation de toute idée composée, et que l’une n’est pas plus difficile que l’autre ; ensuite nous avons observé que toute idée qui n’est pas individuelle est une idée abstraite, car il n’existe dans la nature que des individus ; enfin, nous savons que toute perception de rapport est aussi une idée abstraite, car un rapport n’est qu’une vue de l’esprit et non pas une chose existante par elle-même. Il faudrait donc, dans ce système, soutenir que sans les mots nous ne pourrions avoir que des idées individuelles, ou