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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/122

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— Mais, mademoiselle, reprit la servante après avoir réfléchi, je ne puis réellement pas dire que je l’aie vu. Quand votre pauvre et chère maman mourut, mademoiselle, j’étais toute nouvelle dans la famille et j’avais pour département (ici Mlle Nipper se redressa fièrement de l’air d’une femme qui reproche à M. Dombey d’avoir toujours à dessein mis l’éteignoir sur son mérite)… j’avais pour département l’étage au-dessous des mansardes.

— Ah ! c’est vrai, dit Florence encore pensive, vous ne pouviez guère savoir qui venait à la maison. Je n’y pensais plus.

— Non, mademoiselle, je ne savais que des on dit sur la famille et les visiteurs, et j’en entendais long, quoique la nourrice, avant Mme Richard, fît des remarques désobligeantes quand j’étais de la compagnie et parlât toujours de méchantes petites cruches ; mais on ne pouvait attribuer cela, dit Suzanne avec un air de ménagement et de discrétion, qu’à ses habitudes d’ivrognerie : aussi on la pria de s’en aller, et elle partit. »

Florence, qui était assise à la fenêtre de sa chambre, la figure reposant sur sa main, regardait dehors et paraissait prêter peu d’attention aux commérages de Suzanne, tant elle était absorbée dans ses réflexions !

« En tout cas, mademoiselle, dit Suzanne, je me souviens très-bien que ce même M. Carker était déjà presque sur le même pied avec votre papa, qu’il peut l’être aujourd’hui. On disait ordinairement alors dans la maison qu’il était à la tête de toutes les affaires de votre papa dans la Cité, qu’il gérait tout, et que votre papa le considérait plus que personne, chose qu’il pouvait faire facilement, vous me pardonnerez, mademoiselle, vu qu’il n’a jamais considéré beaucoup personne. Voilà ce que je savais, toute petite cruche que j’étais. »

Suzanne Nipper avait encore sur le cœur les injures de la nourrice avant Mme Richard, quand elle articula vigoureusement ces mots : « Petite cruche. »

« Je sais, continua-t-elle, que M. Carker n’a rien perdu de sa haute position, qu’il a toujours tenu bon à son poste et gardé son crédit auprès de votre papa ; je sais tout cela, parce que cet individu qu’on nomme Perch nous le dit à la cuisine quand il vient à la maison ; et quoique ce soit bien le garçon le plus faible de caractère, un vrai mouton, mademoiselle Florence, car il en est insupportable, il sait assez bien tout ce qui se passe dans la Cité, et il dit que votre papa ne fait ja-