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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/143

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avec plus de pitié que de colère, Mme Chick regardait sa victime avec plus de colère que de pitié.

« Lucrèce, dit Mme Chick, je n’essayerai pas de déguiser ce que je sens. Mes yeux se sont ouverts tout d’un coup. Je ne l’aurais jamais cru, quand ce serait un saint prophète qui me l’aurait dit.

— Je suis folle de montrer ainsi ma faiblesse, balbutia miss Tox. Je suis mieux maintenant.

— Vous êtes mieux maintenant ! répéta Mme Chick d’un ton d’extrême dédain. Supposez-vous que je sois aveugle ? Vous imaginez-vous que je suis tombée en enfance ? Non, non, Lucrèce : je vous suis bien obligée. »

Miss Tox leva vers son amie des yeux suppliants et désespérés, et mit son mouchoir sur sa figure.

« Si quelqu’un m’avait dit cela hier, dit majestueusement Mme Chick, ou seulement il y a une demi-heure, j’aurais été tentée, je crois, de le terrasser. Lucrèce Tox, mes yeux se sont ouverts sur vous tout d’un coup. Mes yeux sont dessillés maintenant. Le temps où j’avais une confiance aveugle en vous est passé, Lucrèce. Vous en avez abusé, vous vous en êtes fait un jeu ; mais c’est fini, il n’y a plus de subterfuge possible maintenant, soyez-en sûre.

— Oh ! mon Dieu ! que voulez-vous dire par ces allusions cruelles, mon amie ? demanda miss Tox tout éplorée.

— Lucrèce, répondit Mme Chick, interrogez votre propre cœur. Je vous prierai d’abord de ne plus m’appeler par ces noms d’amitié, comme vous aviez coutume de le faire, s’il vous plaît. J’ai encore quelque respect de moi-même, quoique vous puissiez penser autrement.

— Oh ! Louisa, s’écria miss Tox. Comment pouvez-vous me parler comme cela ?

— Comment je puis vous parler comme cela ! reprit Mme Chick qui, à défaut de bonnes raisons à donner, s’attachait à répéter ironiquement les paroles de miss Tox pour produire un effet plus dramatique. Comme cela !… je vous conseille vraiment de dire : comme cela ! »

Miss Tox sanglotait que c’était à fendre le cœur.

« Avoir eu la pensée, dit Mme Chick, de venir vous réchauffer à l’âtre du foyer de mon frère, comme un serpent ; et de vous enlacer autour de moi, pour vous glisser dans sa confiance, Lucrèce, afin de pouvoir en secret nourrir des projets sur lui et d’oser avoir la prétention d’envisager comme possi-