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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/242

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refusé l’entrée de la chambre à Edith, et même, malgré l’intervention de sa maîtresse, il n’y avait consenti qu’en grognant. Mais il sortit peu à peu de l’antichambre, où il s’était retiré comme dans un fort, et parut comprendre qu’avec les meilleures intentions du monde, il avait commis une de ces erreurs auxquelles sont exposés les chiens les mieux élevés. En signe de réconciliation, il vint se placer entre elles deux, au beau milieu de la cheminée, et s’étendit tout haletant devant le feu, tirant la langue de l’air le plus niais et prêtant oreille à la conversation.

Elle roula d’abord sur les lectures de Florence, ses occupations favorites et la manière dont elle avait passé le temps, depuis le mariage. En dernier lieu, elles abordèrent un sujet l’un bien vif intérêt pour Florence, qui dit, les larmes aux yeux :

« Oh ! maman, j’ai eu un grand chagrin, depuis ce jour-là.

— Vous, un grand chagrin, Florence ?

— Oui, le pauvre Walter est noyé. »

Florence se couvrit le visage de ses mains et pleura de tout son cœur. Le malheureux sort de Walter lui avait déjà coûté bien des larmes secrètes ; ses larmes n’en coulaient pas avec moins d’abondance chaque fois qu’elle pensait à lui ou qu’elle en parlait.

« Mais dites-moi, chérie, fit Edith en la caressant, qui était Walter ? Que vous était-il ?

— Il était mon frère, maman. Après la mort de Paul, nous nous sommes dit que nous serions frère et sœur. Je le connaissais depuis longtemps, depuis mon enfance. Il connaissait Paul aussi, qui avait beaucoup d’amitié pour lui. Paul a dit, presque au moment de mourir : « Prenez soin de Walter, cher papa, je l’aimais beaucoup ! » On était allé chercher Walter pour le voir, et il était là, dans cette chambre…

— Et a-t-il pris soin de Walter ? demanda Edith d’un ton grave.

— Papa ? Il l’a fait partir aux colonies avec un emploi. C’est en y allant qu’il s’est noyé, dans un naufrage, pendant la traversée, dit Florence en sanglotant.

— Votre père sait-il qu’il est mort ? demanda Edith.

— Je l’ignore, maman ; je n’ai aucun moyen de le savoir. Chère maman ! s’écria Florence en se jetant dans ses bras et cachant son visage sur son sein, je sais que vous vous êtes aperçue…