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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/253

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tre, eut la douleur de lire dans tous les yeux qu’on le regardait comme responsable de cette maladresse.

La figure de M. Dombey n’était pas de nature à changer pour si peu ; il avait pris son air de roideur imposante pour la fête et ne témoigna aucune émotion. Il se contenta de dire d’un air solennel, au milieu du silence : « C’est charmant ! » Edith lança un regard rapide du côté de Florence, mais elle conserva d’ailleurs un extérieur froid et indifférent.

Au milieu des nombreux services de mets recherchés, de vins fins, et surtout d’une vaisselle d’or et d’argent qui ne finissait pas ; au milieu de tout ce que la terre, l’air, le feu et l’eau pouvaient fournir ; au milieu des corbeilles remplies de fruits, qui montaient en pyramides, et de la glace, peu nécessaire dans les repas de M. Dombey, déjà bien assez froid, le dîner se passa tranquillement. Pendant le dernier service, le marteau de la porte jouait sans cesse, annonçant l’arrivée d’invités qui, pour tout régal, n’avaient que le fumet des plats. Quand Mme Dombey se leva, il fallait voir son mari, le cou roide, la tête droite, tenir la porte ouverte pour laisser sortir les dames ; et surtout il fallait voir comme elle passa devant lui sans y faire la moindre attention, sa fille à son bras.

M. Dombey, après le départ des dames, reprit son air grave derrière les carafes, toujours retranché dans sa dignité. Le directeur des Grandes-Indes faisait une triste figure à son bout de table isolé ; le major avait l’air martial pour raconter les histoires du duc d’Yorck aux six paisibles messieurs timides, car le septième était un homme perdu à tout jamais ; le directeur de la Banque avait un air plein d’humilité et dessinait avec quelques cuillers à dessert le plan de sa petite serre à ananas pour le plaisir de quelques amateurs ; le cousin Feenix avait l’air tout pensif, en rabattant ses longues manchettes et en ajustant, sans faire semblant de rien, sa perruque ; mais tous ces airs changèrent bientôt, car on quitta la chambre pour aller prendre le café.

Il y avait foule dans les salons du premier, et, à chaque minute, il arrivait de nouveaux invités : mais la liste de M. Dombey continuait, d’instinct, à ne pouvoir s’amalgamer avec la liste de Mme Dombey : chacun se rangeait sous son drapeau. La seule exception à cette règle, peut-être, était M. Carker, qui souriait à toute la société. Il se tenait dans le cercle formé autour de Mme Dombey, lançant ses regards vers Edith, vers son chef, vers Cléopâtre et le major, vers Florence,