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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/254

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vers tout ce qui l’entourait ; paraissant fort à l’aise avec les deux partis, dans sa neutralité.

Florence avait peur de lui, et sa présence dans le salon lui faisait l’effet d’un cauchemar. Elle ne pouvait échapper à ce sentiment de terreur, car, malgré elle, ses yeux se tournaient vers lui de temps en temps, fascinée par le mépris et le dégoût qu’il lui inspirait. Et cependant elle avait bien autre chose à penser. Tandis qu’elle était assise dans un coin, sans être vue ni admirée de personne, mais toujours conservant le calme et la douceur de son âme, elle songeait au peu de part que son père prenait à la fête ; elle voyait avec peine combien il semblait mal à l’aise, comme on s’occupait peu de lui, tandis qu’il restait adossé à une porte, attendant les invités qu’il désirait honorer d’une attention particulière en les présentant à sa femme. Avec quelle froideur Edith les recevait ! elle ne montrait pas la moindre envie de plaire, et jamais, après le salut de politesse, elle n’ouvrait les lèvres pour répondre à la présentation de son mari, ou pour dire quelques mots gracieux aux amis qu’il lui présentait. Comment Edith qui la traitait avec tant de bonté, avec tant de tendresse, pouvait-elle se conduire de la sorte avec tout le monde ? c’était pour Florence une énigme pénible : elle se reprochait presque comme une ingratitude d’être témoin de cette disparate déplaisante.

Qu’elle aurait été heureuse, si elle avait osé seulement tenir compagnie à son père, ne fût-ce que par un regard ! mais elle était heureuse aussi de ne pas connaître la véritable cause du malaise de son père. Cependant, craignant de lui laisser voir qu’elle devinait combien sa position était fausse, de peur de lui déplaire ; partagée entre son désir de lui être agréable et son affectueuse reconnaissance pour Edith, elle osait à peine lever les yeux vers l’un ou vers l’autre. Inquiète et malheureuse pour tous deux, elle se prenait à penser, au milieu de toute cette foule, qu’il aurait mieux valu pour eux que les invités n’eussent jamais mis le pied dans cette demeure, que la tristesse et l’abandon de cette vieille maison n’eussent jamais vu ces changements splendides, et que l’enfant négligée, au lieu de trouver une amie dans Edith, eût continué à vivre solitaire dans l’abandon et l’oubli.

Mme Chick avait bien quelques pensées de ce genre, mais elle n’était pas aussi calme que Florence. Cette honnête dame s’était sentie humiliée tout d’abord de n’avoir pas reçu une invitation pour le dîner. Remise en partie de ce coup,