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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/264

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il m’est difficile d’aborder ce sujet avec vous, qui avez pour son père un attachement tel, que votre affection souffrirait, je n’en doute pas, du moindre mot qui pourrait porter atteinte à son caractère (quoique sa manière de parler fût en tout temps précise et doucereuse, rien ne peut donner une idée de la précision et de la douceur avec laquelle il prononça ces mots et quelques autres du même genre) ; mais en ma qualité d’homme dévoué à M. Dombey, par position, et toujours plein d’admiration pour son caractère, m’est-il permis de dire, sans offenser votre tendresse d’épouse, que Mlle Florence a été malheureusement négligée… par son père. Oui, qu’il me soit permis de le dire… par son père ?

— Je le sais, répondit Edith.

— Vous le savez, dit M. Carker, comme soulagé d’un grand poids. C’est une montagne de moins sur mon cœur. Puis-je espérer que vous savez comment cet abandon a commencé ? à quelle charmante époque de l’orgueil de M. Dombey, de son caractère, veux-je dire ?

— Vous pouvez passer tout cela sous silence, monsieur, répondit-elle, et en venir au but de votre visite.

— En vérité, je vois, madame, répliqua M. Carker, je vois fort bien que M. Dombey n’a besoin d’être justifié en rien devant vous. Jugez donc avec bonté de mes sentiments par les vôtres, et vous me pardonnerez mon intérêt pour lui, si cet intérêt excessif, sort quelquefois des bornes. »

Quel coup pour un cœur si fier, d’être là, assise face à face avec lui, et de lui entendre prendre sans cesse à témoin le faux serment qu’elle avait prêté devant l’autel, le lui jeter au visage, comme les dernières gouttes d’une coupe amère, qu’il fallait boire jusqu’à la lie sans détourner la tête ! Quelle honte, quel remords, quelle fureur se disputaient son cœur, lorsque, droite et majestueuse, elle se tenait devant lui, drapée dans sa fière beauté, sachant au fond de son âme qu’il la tenait sous ses pieds !

« Mlle Florence, dit M. Carker, laissée aux soins, si l’on peut appeler cela des soins, de domestiques et de mercenaires, de toute façon ses inférieurs, avait nécessairement besoin de conseils et de direction dans son enfance ; et, comme conseils et direction lui ont manqué, elle a commis quelques légèretés, et, jusqu’à un certain point, oublié son rang. Elle a eu une petite amourette avec un certain Walter, un jeune homme du peuple, qui, fort heureusement, est mort maintenant ; elle a eu aussi des