Aller au contenu

Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

core. Maintenant elle pouvait descendre dans la chambre de son père, penser à lui et permettre à son cœur affectueux de s’approcher de lui, sans craindre de se voir repoussée : elle pouvait jeter les yeux sur les objets qui avaient entouré son père dans sa tristesse, se blottir tout doucement à côté de sa chaise, sans avoir à redouter cet œil qu’elle se rappelait si bien.

Elle pouvait avoir pour lui de petites attentions, de douces prévenances, mettre elle-même ses affaires en ordre, lui faire de petits bouquets pour sa table, changer les fleurs pour en remettre d’autres, si elles se fanaient avant son retour, lui préparer tous les jours une surprise et laisser timidement à sa place un témoignage de sa présence et de sa sollicitude. Un jour, c’était un porte-montre qu’elle avait brodé ; le lendemain, effrayée de son audace, elle y substituait quelque autre bagatelle de son invention qui fût de nature à ne pas trop attirer ses regards.

Quelquefois, s’éveillant pendant la nuit, elle tremblait à la seule pensée qu’il allait rentrer et rejeter son présent avec colère ; et vite, et vite, le cœur tout palpitant, elle allait le reprendre. Un autre jour, elle se contentait de coucher sa tête sur le bureau de son père et d’y déposer un baiser et une larme.

Cependant personne n’en savait rien ; les gens de la maison pouvaient s’en apercevoir, quand elle n’était pas là ; mais on avait si peur des appartements de M. Dombey ! c’était toujours comme auparavant le secret de son cœur. Florence se glissait dans ces appartements à la brune, ou bien le matin de bonne heure, ou encore aux heures où l’on servait la table en bas. Elle n’avait besoin, pour les embellir et les animer par ses soins assidus, que d’y glisser, comme un rayon de soleil ; elle ne faisait qu’y passer, mais elle y laissait toujours quelque trace de son passage.

Des êtres fantastiques, enfants de l’imagination de Florence, l’accompagnaient partout dans cette maison vide et sonore : ils faisaient sa société au milieu des chambres nues. Comme si sa vie était une existence enchantée, de complaisantes illusions venaient peupler sa solitude. Souvent elle se représentait la vie de Florence, mais de Florence la fille chérie et adorée de son père. La foi qu’elle avait dans ses rêves en faisait des réalités ; s’abandonnant au courant de son imagination, elle prenait ses illusions pour des réminiscences ; elle croyait se