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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/37

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rappeler qu’elle et son père avaient fait la garde auprès du tombeau de son frère, qu’elle et Paul s’étaient partagé également le cœur de leur père. Unis dans la même pensée de ce doux souvenir, M. Dombey et Florence lui paraissaient s’entretenir souvent du petit Paul, et son père, plein de bonté, lui parler de leurs espérances communes et de leur confiance dans la bonté du ciel. Souvent elle voyait sa mère encore vivante. Oh ! mon Dieu ! quelle joie de pouvoir se jeter à son cou, de pouvoir l’étreindre de toute la force de son amour et de son affectueuse tendresse ! Mais aussi quelle tristesse dans la maison solitaire, quand le soir venait et qu’il n’y avait plus personne !

Heureusement il y avait toujours une pensée, mal définie peut-être, mais ardente et inébranlable, qui la soutenait quand elle avait besoin d’armer de constance et de fermeté son âme jeune et candide, si cruellement éprouvée. Comme tous ceux qui luttent contre quelque grand chagrin de notre pauvre nature humaine, Florence avait senti l’espoir se glisser dans son cœur : éclairée par une lumière surnaturelle, elle croyait apercevoir, aux accents d’une musique lointaine, sa mère et son frère qui avaient quitté la terre : il lui semblait qu’en ce moment ces deux êtres si chers pensaient à elle, l’aimaient, avaient pitié d’elle et la regardaient suivre tristement sa route ici-bas. Il était doux et consolant pour Florence de donner accès dans son cœur à ces pensées, jusqu’au jour (c’était quelque temps après avoir vu son père dans sa chambre) où l’idée lui vint, qu’en gémissant ainsi de l’éloignement qu’il montrait pour elle, elle pourrait bien irriter contre lui les mânes de sa mère et de son frère : il fallait être égarée, faible, enfant comme elle l’était, pour avoir de semblables scrupules et pour trembler devant ces craintes à peine ébauchées ; mais c’était un effet de sa nature aimante et, depuis ce moment, Florence essaya de lutter contre les souffrances causées par les cruelles blessures de son cœur et de songer, avec l’espoir d’en être aimée un jour, à l’auteur de ces blessures.

Son père ignorait combien elle l’aimait, et cette idée que son père ne savait rien de son amour était à ses yeux une excuse du passé et une espérance pour l’avenir : elle s’y attacha fortement. Après tout, elle était très-jeune ; elle n’avait pas de mère ; elle n’avait jamais appris, était-ce sa faute, ou celle de la fatalité ? à lui exprimer combien elle l’aimait.