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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/63

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poussés au souvenir de la peine que lui avait causée cette séparation sans espoir. Mais il est vrai que sa mère à elle l’avait aussi tendrement aimée, se disait-elle, quand elle se la rappelait. Et alors, quand son esprit revenait tout à coup à mesurer l’abîme qui la séparait de son père, elle en tremblait quelquefois, et un torrent de larmes inondait son visage : elle se figurait que, si sa mère eût continué de vivre, elle ne l’aurait pas aimée non plus, parce qu’il lui manquait cette grâce mystérieuse qui, sans cela, aurait dû lui concilier l’affection de son père dès son berceau. Elle reconnaissait bientôt que son imagination faisait injure à la mémoire de sa mère, que ses craintes n’étaient ni réelles, ni fondées ; et cependant, elle faisait des efforts si énergiques pour justifier son père, pour attirer tout le blâme sur elle seule, qu’elle ne pouvait empêcher ces pensées tristes de traverser son esprit, comme de sombres nuages.

Parmi les visiteurs de la maison Barnet, on vit arriver immédiatement après Florence une belle jeune fille, plus jeune qu’elle de deux ou trois ans ; c’était une orpheline qu’accompagnait une dame âgée, sa tante : cette dame parlait beaucoup à Florence et avait beaucoup de plaisir, comme tout le monde du reste, à l’entendre chanter le soir, et s’asseyait toujours à cette heure, à côté d’elle, avec l’intérêt d’une mère. Il y avait déjà deux jours qu’elles étaient dans la maison. Par une chaude matinée d’été, Florence, sous un berceau du jardin, contemplait à travers le feuillage un petit groupe de jeunes filles assises sur la pelouse. Elle s’amusait à tresser une couronne pour la tête de l’une d’elles, la favorite et le boute-en-train de la société. Florence entendit les pas de la dame et de sa nièce qui se promenaient dans un fourré tout près d’elle et prononçaient son nom.

« Ma tante, dit l’enfant, est-ce que Florence est orpheline comme moi ?

— Non, mon ange ; elle n’a plus de mère, mais son père vit encore.

— Est-ce donc le deuil de sa maman qu’elle porte encore ? demanda vivement l’enfant.

— Non, c’est le deuil de son frère.

— Elle n’a pas d’autre frère ?

— Non.

— Pas de sœur ?

— Non.