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Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/123

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L’AMI COMMUN.

nution. Toutefois les jours succédant aux jours, on vit le monticule se fondre peu à peu.

Milords et gentlemen, et vous, honorables comités, qui, à force de remuer des immondices, de recueillir des scories et des cendres, avez édifié une montagne prétentieusement stérile, défaites vos honorables habits ; et, prenant les chevaux et les hommes de la Reine, hâtez-vous de l’enlever, ou la montagne s’écroulera et nous ensevelira tout vivants.

Oui, milords et gentlemen, oui honorables comités, appliquez-y les principes de votre catéchisme, et avec l’aide de Dieu, mettez-vous à l’œuvre ; il le faut, milords ; il le faut gentlemen.

Lorsque les choses en sont arrivées à ce point, qu’ayant à notre disposition un trésor pour soulager les pauvres, nous voyons les meilleurs d’entre ceux-ci repousser notre pitié, se dérober à nos regards, et nous déshonorer en mourant de faim parmi nous, il n’y a pas de prospérité, milords, il n’y a pas de durée possible. Peut-être ces paroles ne sont-elles pas dans l’Évangile selon Podsnap ; et qui voudrait les prendre pour texte d’un sermon, ne les trouverait pas dans les rapports du Board of Trade ; mais elles n’en expriment pas moins un fait qui est vrai depuis le commencement du monde, et qui restera une vérité jusqu’à la fin des siècles.

Cette œuvre dont nous sommes si fiers, qui n’inspire nulle crainte au mendiant de profession, et n’arrête pas le briseur de fenêtres, ou le filou rampant, frappe cruellement celui qui souffre, et remplit d’effroi le malheureux digne d’estime. Il faut changer cela, milords et gentlemen ; il le faut, honorables conseils, ou dans son jour de malignité, ce système nous perdra tous.

La vieille Betty Higden accomplissait son laborieux pèlerinage, et vivait comme le font tant d’honnêtes créatures, hommes et femmes, pour qui la route est pénible ; allant courageusement devant elle, afin de gagner une faible pitance, et de mourir sans passer par le work-house, la seule ambition qu’elle eût ici-bas. Elle n’avait pas donné signe de vie depuis le jour où elle s’était mise en route. La saison avait été rude, les chemins avaient été mauvais ; son cœur était toujours vaillant. Un caractère moins énergique aurait pu faiblir sous des influences si contraires ; mais la somme qu’on lui avait prêtée pour fonder son petit commerce, n’était pas encore rendue. Les affaires avaient moins bien été qu’elle ne l’espérait au départ ; il fallait redoubler de courage pour ne pas se démentir, et garder son indépendance.

Brave créature ! quand elle avait parlé au secrétaire de cet engourdissement qui la prenait quelquefois, elle l’avait fait comme