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Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/144

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L’AMI COMMUN.

Bella tressaillit ; elle entoura de ses deux bras la taille de sa compagne, se croisa les mains, et reprit d’une voix douce : « Le tuer ! Il est donc bien jaloux ?

— Oui ; jaloux d’un gentleman, répliqua Lizzie ; — je ne sais comment vous dire cela, — d’un jeune homme au-dessus de mon rang, bien au-dessus, qui m’a appris la mort de mon père, et qui depuis lors m’a témoigné de l’intérêt.

— Vous aime-t-il ? » Lizzie fit un signe négatif. « Il vous admire, au moins ? » Cette fois elle ne secoua pas la tête, et appuya sa main sur le bras qui lui servait de ceinture. « Est-ce par son conseil que vous êtes ici ?

— Oh ! non ! il ne faut même pas qu’il s’en doute ; c’est à lui que je tiens le plus à le cacher.

— Pourquoi ? demanda Bella, toute surprise de la vivacité de ces paroles ; mais en voyant la figure de Lizzie, elle ajouta vivement : Non, chère, ne répondez pas, c’est une sotte question ; je n’ai pas besoin que vous le disiez. »

Il y eut un moment de silence. Lizzie, la tête baissée, regardait la flamme qui avait alimenté ses premiers rêves, et où elle avait lu la destinée de son frère, prévoyant l’abandon qui serait la récompense de sa sollicitude.

« Maintenant, dit-elle en relevant les yeux et en les attachant sur Bella, vous savez la raison qui me fait cacher ma retraite. Il s’est passé autrefois certaines choses que j’aurais voulu empêcher, — ne me demandez pas ce que c’est, je ne pourrais pas vous le dire, — mes efforts n’ont pas réussi ; je crois avoir fait tout ce qui m’était possible ; mais néanmoins cela pèse sur ma conscience. J’espère, en agissant pour le mieux dans tout ce qui dépend de moi, finir par me tranquilliser l’esprit.

— Et par triompher de cette faiblesse pour quelqu’un qui n’en est pas digne, ajouta Bella d’un ton affectueux.

— Oh ! non, s’écria Lizzie, je ne tiens pas à en triompher, je ne veux pas croire qu’il en soit indigne. Je n’y gagnerais rien ; et combien j’y perdrais ! »

Les sourcils expressifs de Bella adressèrent leur remontrance au brasier ; puis, après un instant de silence : « Chère Lizzie, dit-elle, pardonnez-moi cette observation ; mais vous y gagneriez du repos, de la liberté, de l’espoir. Cela ne vaudrait-il pas mieux que de vivre dans une cachette, et de renoncer à votre avenir ?

— Un cœur de femme, tout rempli de… cette faiblesse dont vous parlez, répliqua Lizzie, cherche-t-il autre chose ?

Cette question était si loin des projets que Bella avait exposés à son père, qu’elle se dit en elle-même : « Entendez-vous cela, petite cupide ? N’avez-vous pas honte de vous, misérable que vous