Aller au contenu

Page:Dictionnaire pratique et historique de la musique.pdf/140

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans l’Europe occidentale et sur lesquelles s’arrêta la sollicitude de Charlemagne. On y formait des chantres pour le chœur, et l’on y accueillait la jeunesse studieuse. Dans l’une des plus célèbres de ces écoles, à Saint-Gall, le moine Tutilon († 915) enseignait à des jeunes gens nobles à jouer des instruments à cordes, dans une salle spéciale que l’Abbé du monastère lui avait concédée à cet effet. Plus encore que Tutilon, Guido d’Arezzo († 1050) personnifie l’E. musical au moyen âge. Ses ouvrages, qui sont ceux d’une d’un grand pédagogue plutôt que d’un grand musicien, le montrent occupé d’éclaircir et de répandre la connaissance pratique de la musique, de découvrir les méthodes les plus expéditives, de les défendre contre les critiques et de tancer lui-même des rivaux ignorants. Le bruit de ses succès et de ses disputes le fit appeler à Rome par le Pape Jean xix (1024-1033), qui voulut connaître les secrets de son E. et s’y montra entièrement favorable. On a réuni sur la tête de Guido plusieurs inventions qui ne lui appartiennent pas toutes. Son but était de former rapidement des chanteurs qui fussent en même temps bons lecteurs. Pour développer la finesse de leur oreille, il se servait du monocorde, et, pour leur faciliter la lecture de la notation neumatique, il avait imaginé la portée, composée d’abord de deux lignes marquant le fa et l’ut, qui fixaient des points de repère pour la hauteur relative de sons représentés par les neumes. Sa gamme était de 21 sons rigoureusement diatoniques, formant deux octaves et une quinte, du sol grave au aigu, divisé par hexacordes selon le système de la solmisation et des muances (voy. ces mots). C’est simplement à titre de moyen mnémonique, pour graver mieux le son de chaque degré de l’hexacorde dans l’esprit de ses élèves, qu’il adopta les six syllabes ut, , mi, fa, sol, la, tirées d’une hymne à saint Jean-Baptiste et déjà, selon certain témoignage, employées avant lui. (Voy. Gamme.) Il n’est pas établi non plus que l’invention de la Main, que lui attribue Sigebert de Gembloux, un siècle après sa mort, et dont lui-même ne parle pas dans ses écrits, lui appartienne réellement. Quoi qu’il en soit, ce procédé dont parle déjà J. Cotton, successeur très rapproché de Guido, était destiné à une longue fortune et offrait de grands avantages pour l’E. des illettrés, à qui une habitude vite acquise faisait situer chaque degré de la gamme sur une des jointures des doigts de la main gauche, transformée en alphabet. (Voy. Main.) Guido, instituteur zélé et ingénieux, était fondé à dire qu’il ne suivait pas « le chemin des philosophes ». Ceux-ci avaient fait place à l’E. de la musique dans le Quadrivium, qui embrassait l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique, et qui formait avec le Trivium, composé de la grammaire, de la rhétorique et de la dialectique, l’ensemble des connaissances, les « sept arts libéraux ». Mais la musique, telle qu’on la concevait dans ce cadre et telle que l’enseignait Jean de Muris à l’Université de Paris en 1323, était purement « spéculative », et toute remplie de calculs subtils et d’un symbolisme mystique qui la rangeaient dans le domaine scientifique. Dès lors, l’E. musical bifurquait, et un fossé se creusait entre la théorie et la pratique. On en mesure la largeur en comparant les traités composés du xive au xvie s. Pour les maîtres accoutumés au dressage des enfants de chœur, la musique est « l’Art de bien chanter ». Ils écrivent le plus souvent dans une forme dialoguée, et sous les titres de Compendium ou de Rudiment, de petits livres concis, où ils expliquent tout juste la main guidonienne, les « déductions », les muances et les signes usuels de la notation ; les plus diserts vont jusqu’à définir les consonances et donner quelques exemples d’accords et de cadences. C’est là visiblement le canevas sur lequel, dans la leçon orale et dans les exécutions du chœur, ils broderont des commentaire. Évidemment, l’éducation de l’oreille, tout comme celle de l’organe vocal, se faisait, ainsi que de nos jours dans les écoles primaires, par hasard ou par routine. Pendant ce temps, les théoriciens de la musique spéculative s’absorbaient en calculs et s’efforçaient à réduire en figures géométriques la doctrine des proportions et la symétrie des hexacordes : c’est ainsi que, dans un temps où tout moyen de contrôle expérimental manquait encore, leur enseignement de la musique ressortissait cependant à la science pure. Les grands ouvrages de Zarlino (1558) et de Salinas (1677) embrassent à la fois ce point de vue et celui de la composition, dont ils traitent d’après les leçons et les productions de leurs contemporains. C’est dans les maîtrises, auprès des contrepointistes fameux, que les étudiants musiciens, déjà instruits dans les mêmes milieux des éléments de la théorie et de la