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Page:Dictionnaire pratique et historique de la musique.pdf/71

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usage pendant de longs siècles et suffit à pousser l’art du chant à un degré certainement avancé. Au temps de Guido d’Arezzo (xie s.), les préceptes posés par les théoriciens à l’égard de la respiration et de l’art de conduire et de ménager la voix, et la notation des pièces de chant liturgique, où abondent les passages vocalisés et les ornements délicats, prouvent suffisamment l’habileté des chantres. De bonne heure les Italiens prétendirent à une supériorité absolue dans l’exécution vocale. C’est chez eux que se recrutaient de préférence, au xvie s., les chanteurs de chapelle, au xviie et xviiie s., les chanteurs d’opéra. Des écoles brillantes maintenaient, dans les grandes villes de la péninsule, les traditions fixées par des maîtres éminents. Le développement de l’organe vocal y résultait d’exercices patiemment poursuivis et savamment gradués. Tosi (1723) commençait l’éducation du chanteur par la pose de la voix, au moyen des sons filés ; il lui imposait ensuite de longues gymnastiques de vocalisation sur les voyelles ; après quoi, il lui faisait aborder l’étude des ornements, de l’appogiature, de la liaison des sons, du port de voix ; le chant avec paroles, que l’on a appelé plus tard, en France, la déclamation lyrique, ne venait qu’en dernier lieu : en commencer la pratique avant d’avoir acquis de toutes les matières précédentes une pleine connaissance était s’exposer à « ruiner » une voix « sans retour ». C’est d’après des méthodes semblables que furent formés dans les écoles de Rome, de Venise, de Naples, de Bologne, les fameux chanteurs de la période surnommée « l’âge d’or du chant ». L’enseignement y était presque exclusivement pratique. Cinquante ans s’écoulèrent entre la publication de l’ouvrage de Tosi et celle des Réflexions sur le chant figuré de Mancini (1774). Porpora († 1767), l’un des maîtres les plus renommés de ce temps, n’a laissé aucun écrit théorique, et, s’il faut en croire ses biographes, ce fut en lui faisant répéter, et sans doute varier, pendant cinq ans, les formules notées sur un seul feuillet de papier, qu’il conduisit son élève Caffarelli à la possession de tous les secrets du mécanisme vocal. Triomphateurs du bel canto, les grands chanteurs italiens devaient le faire sombrer finalement dans le virtuosisme. La France restait rebelle à cet art. Telle que Lulli l’avait créée, la tragédie lyrique exigeait des chanteurs une interprétation tout opposée, dans laquelle une part prépondérante était faite à la déclamation, à l’articulation des paroles. Lorsque le public s’en lassa, ce fut par la finesse et la légèreté des agréments que les représentants du « goût du chant français » s’assurèrent le monopole d’un style mièvre et formulaire, dont les livres de Bacilly (1679) de Bérard (1755), de Blanchet (idem) contiennent la doctrine. Ses derniers vestiges disparurent lors de la rénovation de la tragédie lyrique par Gluck. Dans la méthode de chant rédigée collectivement par les professeurs du Conservatoire de Paris (1803) apparaît un essai de conciliation entre les traditions du chant italien et les tendances du « grand opéra » naissant. Dans le même courant d’idées, on publiait en France des cahiers de vocalises attribuées aux élèves de Bernacchi ou composées par Danzi ou par Paer. Panseron, professeur à la mode, rédigeait une Méthode de vocalisation (1840). Mais, sous la double influence des ouvrages de Meyerbeer et du talent de Duprez et de Nourrit, une transformation de l’art du chant s’accomplissait, qui faisait estimer par-dessus tout la puissance, l’éclat, l’intensité du son, l’étendue de la voix et la véhémence dans l’expression. Aux amateurs qui déploraient de voir les Italiens eux-mêmes se laisser guider par Verdi dans la même direction, et qui prophétisaient la ruine des voix et du chant, les physiologistes vinrent proposer des principes nouveaux d’enseignement basés sur l’anatomie de l’appareil vocal et sur les observations recueillies à l’aide du laryngoscope inventé en 1855 par Manuel Garcia, qui en préconisait l’usage pratique dans son Traité de l’Art du Chant, plusieurs fois réimprimé. Par le développement de ce genre d’études, tout d’abord limité à l’hygiène vocale, le chant allait finalement se trouver défini « une opération musculaire consciente et volontaire », dont les lois, jadis purement musicales, seraient transportées sur le terrain scientifique. Concilier les deux points de vue, qui était déjà le but des efforts de Garcia, est devenu pour les professeurs moderne une tâche ardue, encore compliquée par l’évolution récente de la musique dramatique et de la musique vocale en général : car l’antinomie qui existe entre les formes mélodiques des différentes époques semble exclure la possibilité d’aborder leur interprétation d’après une méthode unique et par conséquent s’opposer à la possession par un chanteur d’un répertoire étendu. Il n’en est pas tout à fait ainsi en réalité.