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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/319

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DE LA COMÉDIE SÉRIEUSE.

l’homme. La tragédie, qui aurait pour objet nos malheurs domestiques ; la tragédie, qui a pour objet les catastrophes publiques et les malheurs des grands.

Mais, qui est-ce qui nous peindra fortement les devoirs des hommes ? Quelles seront les qualités du poëte qui se proposera cette tâche ?

Qu’il soit philosophe, qu’il ait descendu en lui-même, qu’il y ait vu la nature humaine, qu’il soit profondément instruit des états de la société, qu’il en connaisse bien les fonctions et le poids, les inconvénients et les avantages.

« Mais, comment renfermer, dans les bornes étroites d’un drame, tout ce qui appartient à la condition d’un homme ? Où est l’intrigue qui puisse embrasser cet objet ? On fera, dans ce genre, de ces pièces que nous appelons à tiroir ; des scènes épisodiques succéderont à des scènes épisodiques et décousues, ou tout au plus liées par une petite intrigue qui serpentera entre elles : mais plus d’unité, peu d’action, point d’intérêt. Chaque scène réunira les deux points si recommandés par Horace ; mais il n’y aura point d’ensemble, et le tout sera sans consistance et sans énergie. »

Si les conditions des hommes nous fournissent des pièces, telles, par exemple, que les Fâcheux de Molière, c’est déjà quelque chose : mais je crois qu’on en peut tirer un meilleur parti. Les obligations et les inconvénients d’un état ne sont pas tous de la même importance. Il me semble qu’on peut s’attacher aux principaux, en faire la base de son ouvrage, et jeter le reste dans les détails. C’est ce que je me suis proposé dans le Père de famille, où rétablissement du fils et celui de la fille sont mes deux grands pivots. La fortune, la naissance, l’éducation, les devoirs des pères envers leurs enfants, et des enfants envers leurs parents, le mariage, le célibat, tout ce qui tient à l’état d’un père de famille, vient amené par le dialogue. Qu’un autre entre dans la carrière, qu’il ait le talent qui me manque, et vous verrez ce que son drame deviendra.

Ce qu’on objecte contre ce genre, ne prouve qu’une chose, c’est qu’il est difficile à manier ; que ce ne peut être l’ouvrage d’un enfant ; et qu’il suppose plus d’art, de connaissances, de gravité et de force d’esprit, qu’on n’en a communément quand on se livre au théâtre.