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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/428

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CHARLOTTE.

Pour apprendre à haïr mon frère !

MADAME BEVERLEY.

Mon amie, ne me dites point de ces choses-là.

CHARLOTTE.

Ne vous a-t-il pas ruinée ? Ô jeu, passion abominable !… Mais il me semble qu’il aurait pu s’en tenir à son train de vie ordinaire. Quand on a tenu des dés ou des cartes jusqu’à quatre à cinq heures du matin, on doit en avoir assez. N’est-il pas déjà assez dur d’avoir à l’attendre ? Il ne lui manquait plus que de passer les nuits. Je le détesterai ; c’est moi qui vous le dis ; il en fera tant que j’en viendrai là.

MADAME BEVERLEY.

Vous êtes trop juste pour punir si sévèrement une première faute. Il n’a point encore découché.

CHARLOTTE.

Découché ! je le crois. Est-ce qu’il se couche ?… Il ne lui reste pas une vertu. Un seul vice les lui a toutes ôtées… De l’attachement, de la tendresse, il ne lui en reste pour rien… Ah ! chère sœur, il fut un temps…

MADAME BEVERLEY.

Ce temps est encore… Je lui suis toujours chère… J’ai toute sa tendresse… Qu’on me rassure seulement sur sa personne.

CHARLOTTE.

Avec sa conduite et ses sociétés, cela est impossible. Il a tout oublié, jusqu’à son pauvre petit. Que deviendra cet enfant ?

MADAME BEVERLEY.

Ce qu’il deviendra ? Le besoin lui donnera de l’industrie. Il s’instruira par les fautes de son père. Il apprendra de lui la prudence, de moi la résignation. Charlotte, vous vous faites des terreurs, vous vous exagérez le malheur de l’indigent. Excepté la maladie et ses douleurs, il n’y a point de condition à laquelle le ciel n’ait attaché un dédommagement. Voyez le mercenaire. Si son travail l’appelle de grand matin, il en trouve le sommeil plus doux, le pain plus agréable à son appétit, sa maison et sa famille plus chères, et son mécontentement plus envié et moins incertain. Si ses yeux se sont ouverts aux premiers rayons du