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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/447

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ACTE II


Le théâtre représente une maison de jeu, des tables, sur ces tables des dés, des cornets, des cartes.



Scène PREMIÈRE.

BEVERLEY, assis à une de ces tables.

Dans ce monde, comme tout va ! L’esclave qui se fatigue au fond de la mine, pour en détacher l’or, reçoit à la fin de sa journée son modique salaire, soupe avec appétit, et dort content. Son maître, avide, reçoit de ses mains le précieux et funeste métal, et l’emploie à se rendre méchant et malheureux. Son opulence l’appauvrit en multipliant ses besoins. Ô honte ! ô extravagance des hommes ! Il ne me fallait, à moi, que la dixième partie de la fortune que je possédais : c’eût été peu ; mais j’aurais conservé ce peu et j’aurais été riche. C’est parce que j’avais trop que j’ai dissipé. Le ruisseau paisible coule sans cesse. Le torrent impétueux descend de la montagne, renverse sa digue, inonde ses rives, et laisse son lit à sec. Quel besoin avais-je de jouer ? Pourquoi jouai-je ? Que me manquait-il ? Rien. Ma richesse suffisait à mes désirs. La bénédiction du pauvre m’accompagnait ; l’amour jonchait de roses mon chevet. Le matin, à peine mes yeux étaient ouverts, que le bonheur et le plaisir s’offraient à mes premiers regards. Ô pensée cruelle, ô comparaison qui me déchire ! Qu’étais-je ? que suis-je devenu ? que ne puis-je oublier l’un et l’autre… Qui est là ?