Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/450

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BEVERLEY.

On a pitié de moi ; c’est ainsi qu’on dit, n’est-ce pas ? Hélas ! je naquis pour l’infamie. Tu ne sais donc pas ce qu’on dit de moi ? Écoute, je le sais moi, et je vais te l’apprendre. On m’appelle vilain, malheureux, infâme, coquin, époux cruel, père dénaturé, mauvais frère, ami perfide, homme perdu dans l’univers, homme étranger aux sentiments de son espèce ; pour tout dire en un mot, joueur… Va à ta maîtresse… va, et dis-lui que je la verrai dans un moment.

JARVIS.

Et pourquoi pas maintenant ?… Elle est accablée d’importuns qui tombent impitoyablement sur elle ; des âmes de fer, des créanciers féroces qui la pressent et qui crient, des misérables qui n’eurent jamais d’entrailles… J’en ai trouvé un à sa porte… Il voulait entrer… Il voulait absolument lui parler… Je n’avais pas sur moi de quoi l’apaiser. Je l’ai renvoyé à demain… Mais d’autres surviendront. Sa peine n’est déjà que trop grande, sans la laisser s’accroître… Allons, monsieur ; songez que votre absence la tue.

BEVERLEY.

Va, te dis-je. Dis-lui que je suis à elle dans un moment… J’ai encore des affaires pour un moment… Mais, Jarvis, qu’es-tu venu faire ici ? Que t’importe ma détresse ? Tu fus trop honnête pour t’enrichir à mon service. Tu as amassé peu de chose, et ton âge a ses besoins. Eh ! mon ami, garde ce que tu as. Crains que la misère ne te saisisse sur le court espace qui te sépare du tombeau. Sauve-toi. J’attends un ami ; il me conseillera… C’est cet homme-là qui est un ami.


Scène IV.

BEVERLEY, JARVIS, STUKELY.
STUKELY.

Comment se porte Beverley ? Serviteur à l’honnête Jarvis. Je comptais bien vous rencontrer ici. À propos, n’est-ce pas ce maudit William qui vous a tracassé ce matin ?