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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/449

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pleure, dites-vous… Elle pleure, et je la laisse ! Ah ! je suis un malheureux… Sortez vite… je n’ai rien à vous ordonner.

JARVIS.

Pardonnez-moi, monsieur ; il faut que je vous entraîne hors d’ici… Je n’ai point cessé d’être à votre service. C’est à vous que je dois l’aisance dont je jouis sur mes vieux jours. Si la fortune vous a abandonné, il ne sera pas dit que j’aie fait comme elle.

BEVERLEY.

Non, laisse-moi… Non, reste. Rappelle-moi le temps que tu sais… Je suis environné de ténèbres. Parle, ne pourrais-tu pas me montrer une lueur qui m’éclairât et me conduisît ?… Pourrais-tu quelque chose ?… Que peux-tu ?

JARVIS.

Peu de chose ; mais je vous servirai d’affection… Vous avez eu mille bontés pour moi… Pour tout au monde, je ne voudrais pas vous offenser… Mais, monsieur…

BEVERLEY.

N’ai-je pas assez de ma honte ? mon ignominie pourrait-elle s’accroître encore ? risquerais-je de t’associer à ma ruine ? Non, cela ne se peut… Ma femme !… Ma femme !… Jarvis, le croirais-tu ? il y a vingt-quatre heures que je ne l’ai vue… Je l’aimais… ah ! je l’aimais ! Un instant passé loin d’elle était comme un vide dans ma vie… Je porte une autre chaîne… Je suis cet enfant imbécile qui a laissé tomber ses jetons dans la rivière. Il s’est baissé pour les reprendre et il s’est perdu… Jarvis, serais-tu homme à t’attacher à ma misère… Non, à celle de ta maîtresse ? Si tu te sens ce courage, va la retrouver. Elle est malheureuse ; mais elle n’a rien à se reprocher : on peut la consoler.

JARVIS.

Monsieur, par pitié !… Je ne saurais voir ce renversement.

BEVERLEY.

Ni moi, le supporter… Jarvis, que dit-on de moi dans le monde ?

JARVIS.

On en parle comme d’un homme de bien qui n’est plus ; comme d’un noctambule qui est tombé du faîte de sa maison. On en est fâché.