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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/497

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LEUSON.

Je te prends pour… eh oui, l’ami, pour un lâche. Si tu ne l’es pas, montre-le. (Leuson met ici l’épée à la main, et Stukely se retire.) Il me fait pitié… C’est cela pourtant ; c’est ce misérable qui s’empare d’un Beverley, d’un brave homme, qui le subjugue ci qui en fait sa proie. J’en suis confondu… Je lui couperais le nez et les oreilles, qu’il me laisserait faire… Le péril et le désespoir, qui révoltent les êtres les plus faibles de la nature, ne peuvent rien sur cette fange… Monsieur Stukely, quand on embrasse la profession d’un coquin du premier ordre, il y a des qualités qu’il faut avoir ; par exemple, du courage et une épée. Ce n’est pas assez que de duper, il faut encore savoir effaroucher sa dupe, et relever sa scélératesse d’un peu de bravoure.

STUKELY.

Ma scélératesse ! Monsieur Leuson, vous feriez prudemment de mettre quelque terme à la liberté de vos propos… Il y a des lois contre l’outrage. On n’attaque point la réputation…

LEUSON.

Des lois ! Oserais-tu bien t’adresser aux lois ? Ont-elles été faites pour servir d’abri à tes semblables, dont la vie en est une infraction continuelle ?… Cela parle de réputation, je crois, après avoir trahi le saint nom d’ami, trahi, pillé, volé, ruiné !…

STUKELY.

Courage, monsieur Leuson. Tombez à présent sur les joueurs. Le sujet est riche, et prête merveilleusement à votre talent pour la déclamation. Allons, prenez une chaire dans la cité, prêchez : il n’y a guère de tavernes qui ne vous fournissent des auditeurs. Si vous faites là peu de fruit, allez chez les grands… Que sait-on ? il vous est peut-être réservé de les réformer. En attendant, permettez que nous pensions de cet amusement comme tous les honnêtes gens de la nation.

LEUSON.

L’exemple, quelque général qu’il soit, ne justifiera jamais un vice à mes yeux. Non, misérable, non. Que les grands, que la ville si ardente à prendre les travers des grands, que le souverain même s’asseye à une table de jeu ; qu’on y perde la fortune, la bonne foi, le temps et la vie, en dépit des lois ; rien ne peut