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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/327

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val ; je n’en reviendrai pas sans avoir mis la dernière main à ma correspondance avec Falconet. Je suis à présent à la révision de l’ouvrage de l’abbé Galiani, et à la correction de ses épreuves. Tandis que je serai absent, qui me remplacera pour cette édition ? À vous dire vrai, il y a un homme qui en aurait la bonne volonté, mais à qui je n’en crois pas le talent. Tout cela me soucie : je voudrais bien contenter le Baron, et je ne voudrais pas délaisser l’abbé, d’autant plus qu’il est absent, et que je ne voudrais pas qu’il dît que les absents ont tort. Autre aventure ; je viens de recevoir une comédie de Voltaire[1] à présenter aux comédiens : c’est Gourville qui donne la moitié de sa fortune à un dévot, qui nie le dépôt, et l’autre moitié à Ninon, qui le rend fidèlement, quoique, dans l’absence de Gourville, elle se soit trouvée dans la plus grande détresse. Tout cela est encore fourré de trois ou quatre personnages bizarres et comiques. Elle est en vers et en cinq actes. Je doute que les comédiens l’acceptent ; et quand les comédiens l’accepteraient, je doute que la police la permette : c’est une copie du Tartuffe. Deuxième aventure dont je ne sais, ma foi, comment nous sortirons. Le censeur que M. de Sartine nous a donné pour l’ouvrage est un capucin renforcé qui joue de la serpe à tort et à travers. J’en ai déjà écrit quatre ou cinq fois au sublime magistrat, lui protestant sur mon honneur que celui qui faisait les lacunes aurait pour agréable de les remplir.

Tout mon plaisir se réduit à vous écrire quelques lignes à la dérobée, et à m’en aller dans la chambre voisine, quand la tête est bien lasse, persifler la mère et l’enfant. Hier, l’enfant était sur le point de sortir, et voici une petite ébauche de notre causerie. « Qu’as-tu là sur la tête, qui te la rend grosse comme une citrouille ? — C’est une calèche. — Mais on ne saurait te voir au fond de cette calèche, puisque calèche il y a. — Tant mieux : on en est plus regardée. — Est-ce que tu aimes à être regardée ? — Cela ne me déplaît pas. — Tu es donc coquette ? — Un peu. L’un vous dit : Elle n’est pas mal ; un autre : Elle est bien ; un troisième : Elle est jolie. On revient avec toutes ces petites douceurs-là, et cela fait plaisir. — Beau plaisir ! — Tenez, mon papa, à tout prendre, j’aimerais mieux plaire un peu à beau-

  1. Le Dépositaire, comédie de société, jouée à la campagne en 1767.