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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/328

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coup de gens que de plaire beaucoup à un seul. — Ah ça, va-t’en vite avec ta calèche. — Allez, laissez-nous faire ; nous savons bien ce qui nous va, et croyez qu’une calèche a bien ses petits avantages. — Et ces avantages ? — D’abord, les regards partent en échappade (c’est son mot) ; le haut du visage est dans l’ombre ; le bas en paraît plus blanc ; et puis l’ampleur de cette machine rend le visage mignon, » etc., etc.

Je crois vous avoir dit que j’avais fait un Dialogue entre d’Alembert et moi. En le relisant, il m’a pris fantaisie d’en faire un second, et il a été fait. Les interlocuteurs sont d’Alembert, qui rêve, Bordeu, et l’amie de d’Alembert, Mlle de l’Espinasse. Il est intitulé le Rêve de d’Alembert. Il n’est pas possible d’être plus profond et plus fou. J’y ai ajouté après coup cinq ou six pages capables de faire dresser les cheveux à mon amoureuse ; aussi ne les verra-t-elle jamais. Mais ce qui va bien vous surprendre, c’est qu’il n’y a pas un mot de religion, et pas un seul mot déshonnête. Après cela je vous délie de deviner ce que ce peut être. À propos de mon amoureuse, eh bien, je lui ai envoyé une lettre de M. Dubucq, qui la doit mettre un peu à son aise. Dites-lui que j’ai fait toutes ses commissions, et que je ne l’en aime pas moins, quoiqu’elle ne cesse de me gronder : les amoureux qui ne se querellent pas de temps en temps ne s’aiment guère. Je n’ai pas vu Mme Bouchard, depuis que je lui ai fait le petit plaisir de l’envoyer à la Comédie : eh bien, elle m’embrassera donc dans la rue si elle m’y rencontre ! Ma foi, partout où elle voudra : il est difficile d’être cruel avec ces femmes-là. Ma comédienne de Bordeaux me ferait enrager, si je m’y intéressais jusqu’à un certain point[1]. Imaginez qu’elle est fille de protestants, et qu’elle jouit d’une pension de deux cents livres, en qualité de nouvelle convertie. Eh bien, cette nouvelle convertie, qui touche tous les ans deux cents francs pour se mettre à genoux quand le bon Dieu passe, s’est avisée de s’en moquer un jour qu’il passait ; on a rapporté ses propos au procureur général : elle a été décrétée, prise et mise en prison, d’où elle n’est sortie qu’à force d’argent. M. Perronet est très-sérieusement malade ; il est renfermé, il ne parle à personne. L’abbé Morellet passe les jours et les nuits à répondre à M. Necker.

  1. Mlle Jodin. Voir plus loin les lettres qui lui sont adressées.