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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/33

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enfant exposé ; et le matin, sur le point du jour, il mettait en train de chanter tous les coqs du voisinage. Au sein de l’indigence, il était plus heureux que nous[1]. Votre mère a pris son parti. Elle aura de la bonne humeur jusqu’à demain. Cette espèce de philosophie éphémère ne dure pas davantage.

On parle donc de retour ! On remue donc les malles ! Le courrier prochain m’apprendra peut-être votre départ. Ne vous attendre que pour les derniers jours du mois, je ne saurais. Vous m’avez mis en train d’espérer. S’il nous est permis d’aller au-devant de vous, vous nous le direz apparemment. Au reste, ne faites rien là-dessus de votre mouvement. Si l’on nous rencontre sur la route, qu’on s’y attende, et qu’on l’ait à gré. Oui, ce fut un terrible jour que celui que vous rappelez. Mais vous aviez de la santé, on pouvait se flatter que vous supportiez la fatigue du voyage ; on ne craignait pas que vous restassiez mourante dans une auberge ou sur un grand chemin. Il vint un jour, et ce jour était la veille même de votre départ, où j’avais toutes ces alarmes. On vous croyait assez de force pour faire soixante lieues en poste, dans une voiture très-dure, dans la saison la plus fatigante, et vous étiez dans votre lit, et vous ne pouviez vous tenir debout, et vous n’auriez pas fait pour toute chose au monde le tour de votre chambre, et vous ne pouviez parler. Mais laissons cela ; ma bile se remuerait trop violemment ; je ne m’en porterais pas mieux, je n’en serais pas plus content, et de celle qui vous entraînait, et de celle qui se portait à sa fantaisie, et qui fermait les yeux sur votre état.

Mais qui est-ce qui vous a envoyé la Confession de Voltaire[2] ? Vous ne me le dites pas. À propos de Voltaire, il se plaint

  1. Dans les notes si curieuses du libraire Prault sur quelques littérateurs de son temps, notes publiées par M. Rathery (Bulletin du bibliophile, 1850, p. 866), on trouve celle-ci sur l’abbé de La Marre, que Mme Quinault avait surnommé Croque-Chenille : « Il avait de l’esprit, du feu et de la vivacité ; d’ailleurs crapuleux ; sans reproche, je l’ai une fois habillé de pied en cape et lui ai donné soixante-douze livres pour se faire guérir de la v..... On n’a de lui qu’un petit recueil de poésies. Il a fait aussi l’opéra de Zaïde, mis en musique par Royer. » — L’abbé de La Marre, nommé commissaire aux fourrages pendant la campagne de 1741, se jeta par la fenêtre, à Egra, dans un accès de fièvre chaude.
  2. Diderot veut parler ici de la Relation de la maladie, de la confession et de la fin de M. de Voltaire et de ce qui s’ensuivit, par moi Joseph Dubois (Sélis). Genève, 1761 (1760), in-12 ; sorte de contre-partie du pamphlet de Voltaire ayant pour titre : Relation de la maladie, de la confession, de la mort et de l’apparition du jésuite Bertier, suivie de la Relation du Voyage de frère Garassise, neveu du père Garasse, successeur du frère Bertier, et de ce qui s’ensuit en attendant ce qui s’ensuivra. Genève, 1760, in-12.