Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la peine à prouver que le comble de la perfection est de préférer l’intérêt public à tout autre, et le comble du désordre de préférer l’intérêt étranger, quel qu’il soit, au personnel, à l’intérêt public ? Quoi ! rien au monde ne doit-il nous faire tromper la confiance qu’on a en nous ? Oserez-vous bien avouer ce principe généralement ? Car, après tout, c’est le seul moyen que l’on puisse employer contre mon avocat.

Enfin vous l’avez donc deviné, mon cénobite[1] ! c’est bien de ma faute ; il n’a tenu qu’à moi de vous y intéresser plus d’un mois, sans que vous trouvassiez le mot de l’énigme ; mais, si je vous trompais jamais, je voudrais que ce fût en matière plus grave. Oh ! quel bond vous faites en arrière ! Rassurez-vous, je ne vous tromperai jamais.

À propos d’Uranie et de vous, qu’elle y prenne garde ; rien n’est si indécent que cette occupation. Quand les idées sont douces, agréables, la manivelle va doucement ; sont-elles violentes, impétueuses, colères, la manivelle va comme le vent.

Nous avons fait un dîner sous les chevaux[2], un dîner chez Montamy, un autre je ne sais où. N’allez pas imaginer que ce sont ces dîners qui m’ont tué ; encore une fois, j’ai été sobre au grand scandale des convives. Le Baron, qui était du dîner, avait eu l’intention d’écrire à Le Breton, pour qu’il me laissât respirer un moment que j’irais passer au Grandval. Tout était arrangé ; nous avions redoublé de voiles, et, après cela, l’indisposition importune qui me retient ; plus de Chevrette, plus de Grandval, plus de Massy, et puis il fait un temps, un temps ! Mais, quelque temps qu’il fasse, je suis bien avec mes amis. S’il m’était donné d’aller passer la mauvaise saison à Isle, je vous jure que ce serait bien la plus belle. Eh bien ! c’est donc pour la fin du mois prochain, ou le milieu, ou la fin de l’autre ! car le premier mot de Morphyse est bien loin de son dernier mot. Adieu, mes amies ; portez-vous bien. Il n’y a personne au monde qui vous estime plus que moi ; il n’y a personne au monde que j’estime plus que vous.

  1. Voir la note de la page 59.
  2. À l’entrée des Champs-Élysées.