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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/279

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nuée & de feu, qui conduisit l’armée des Israëlites dans le désert.

Dans les pays peuplés, la route des armées est dirigée par des colomnes militaires, par des portes, des rivieres, collines, villes, villages, châteaux, &c. Mais dans des déserts, il est nécessaire qu’un guide général précéde le gros d’une armée pour qu’elle ne s’égare pas, & qu’elle puisse savoir quand il faut camper, décamper, ou faire halte. Le feu est un signal qui peut servir à indiquer ces choses en tout tems. Par le moyen de ce signal, l’armée des Israëlites pouvoit savoir parfaitement, s’il falloit qu’elle s’arrêtât ou non ; & c’est ce signal qu’il faut entendre par la colomne de nuée & de feu, qui guidoit le peuple juif dans le désert.

Comme la flamme & la fumée montent en haut, on leur a donné le nom de colonne, non-seulement dans l’Ecriture, mais dans les auteurs profanes ; il y en a de bonnes preuves dans Quinte Curce, lib. V. ch. xiij. Pline, lib. II. ch. xlx. Lucrèce, lib. VI. v. 425. & 432. Le prophete Ezéchiel, ch. viij. xj. ch. x. iv. parle d’une nuée de parfum ; & pour citer encore un passage plus formel, on lit dans les Juges, ch. xx. xl. que la fumée commença à monter comme une colomne.

Lorsque les Israëlites sortirent d’Egypte, ils formoient une armée & marchoient en ordre de bataille, dit l’Exode en plusieurs endroits, ainsi que les nombr. ch. xxxiij. v. i. Leur premiere station fut à Ramefès ; la seconde à Succoth, la troisieme à Etham : le pays ayant été jusques-là pratiquable, ils n’eurent besoin d’aucun signal pour diriger leurs marches. Mais le désert de la mer Rouge commençoit à Etham, comme le dit l’Exode, 13. 18. & de l’autre côté étoit encore un désert affreux ; ainsi les Israëlites avoient alors un besoin indispensable d’un feu pour signal & pour guide. Ce feu étoit dans une machine élevée au haut d’une perche ; un officier le portoit devant la premiere ligne de l’armée. Ce signal dirigeoit d’autres signaux semblables qu’on multiplioit, suivant les besoins & le nombre de troupes. Quand le tabernacle fut fait, on plaça le principal signal de feu au haut de cette tente où Dieu étoit présent, par ses symboles & ses ministres.

Pendant que ce feu étoit au haut du tabernacle, les Israëlites continuoient de sejourner dans leur camp. Toutes les fois qu’on l’otoit, soit de nuit, soit de jour, ils décampoient & le suivoient. Ce signal étoit en usage parmi d’autres nations, particulierement chez les Perses. Aléxandre emprunta d’eux cette coutume : il y a un passage de Quinte-Curce, l. V. ch. ij. tout-à-fait semblable à celui de Moïse. Ce passage est trop curieux pour ne le pas rapporter ici. Tubacum castra movere vellet Alexander, signum dabat, cujus sonus pluriumque tu nultuantium fremitu, haud satis exaudiebatur, Ergo perticam (une perche) quæ undique conspici posset, supra prætorium statuit, ex quâ signum eminebat pariter, omnibus conspicuum ; observabatur ignis noctu, sumus interdiu. Quinte-Curce, l. III. c. iij. décrit la marche de Darius contre Aléxandre ; l’on y peut voir que la marche des Israëlites & des Perses étoit fort semblable.

Clément d’Aléxandrie rapporte de Trasibule, que rappellant de Philas les exilés à Athènes, & ne voulant pas être découvert dans la marche, prit des chemins qui n’étoient pas battus. Comme il marchoit la nuit, & que le ciel étoit souvent couvert de nuages, une colomne de feu lui servoit de guide. Ce fut à la faveur de ce phénomene, qu’il conduisit sa troupe jusqu’à Munychia, où cette colonne cessa de paroître, & où l’on voit encore, dit Clément, l’autel du phosphore.

Ce pere de l’église allégue ce fait, pour rendre

probable aux Grecs incrédules, ce que l’Ecriture dit de la colonne qui conduisit les Israëlites. Voilà donc Clément d’Aléxandrie qui ne faisoit point un miracle de la colomne de nuée & de feu qui conduisoit les Israëlites dans le désert.

« Elle vint, dit l’Ecriture, entre le camp des Egyptiens & celui des Israëlites. Aux uns, elle étoit obscurité ; & aux autres, elle éclairoit de nuit » ; c’étoit un stratagème de marche pour tromper les Egyptiens ; & ce stratagème a été mis en usage par d’autres peuples, ainsi qu’on peut le prouver par un exemple tout-à-fait semblable, tiré du 3e. l. de la Cyropédie de Xénophon. D’ailleurs, comme les Egyptiens ne furent point étonnés de cette nuée, il s’ensuit qu’ils ne la regarderent pas pour être un phénomene extraordinaire & miraculeux.

Il est vrai que l’Ecriture dit, Exod. xiij. 20. & le Seigneur marchoit devant eux ; mais ces paroles signifient seulement, que Dieu marchoit devant les Israëlites par ses ministres. Les ordres de Moïse, d’Aaron, de Josué & autres, sont toujours attribués à Dieu, suprème monarque des Israëlites. Il est dit aux nomb. 10. 12. que les Israëlites partirent, suivant le commandement du Seigneur, déclaré par Moïse : ces paroles montrent bien que Moïse disposoit de la nuée.

Enfin, l’ange du Seigneur, dont il est ici parlé, étoit le guide de l’armée ; il se nommoit Hobab beau-frere de Moïse, étoit né, avoit vécu dans le désert, & par conséquent en connoissoit toutes les routes. Aussi ses actions très-naturelles jussisient que ce n’étoit point un vrai ange. Le mot hébreu traduit par ange, n’a pas une signification moins étendue, que celle du mot grec ἀγγέλοι. Il est dit, par exemple, dans le second livre des Juges, 1. 5. qu’un ange du Seigneur monta de guilgal en bokim, &c. tous les interprétes conviennent que cet ange du Seigneur qui monta de guilgal en bokim, n’étoit qu’un homme, un prophete ; mais il n’est pas besoin de nous étendre davantage sur ce sujet. Le chevalier.

Nuée, (Terme de Lapidaire.) il se dit des parties sombres qui se trouvent assez souvent dans les pierres précieuses, qui en diminuent la beauté & le prix.

NUEMENT, adv. (Jurisprud.) signifie immédiatement & sans moyen, comme quand on dit, qu’un fief releve nuement du roi, ou que l’appel d’un tel juge se releve nuement au parlement. (A)

NUER ou NUANCER, v. act. (Terme de Manuf.) c’est disposer les nuances d’une étoffe, d’une tapisserie, d’un ouvrage de broderie. Ainsi nuancer en tapisserie, c’est mêler dans une tapisserie les laines de différentes couleurs, de maniere qu’elles produisent une union agréable & qui fasse une maniere d’ombre. Les Perruquiers désignent aussi par le mot nuer ou nuancer, le mélange de cheveux de différentes & d’assortissantes couleurs. (D. J.)

Nuer, v. act. (Soirie.) Nuer un dessein, c’est marquer sur les fleurs les couleurs que l’ouvrier doit employer.

Nuer, (Géog.) petite riviere d’Irlande ; elle a sa source dans le Quceus-County, baigne Kilkenny, & se joint à la riviere de Barrow, un peu au-dessus de Ross. (D. J.)

NUESSE, s. f. (Jurisprud.) dans quelques coutumes & provinces, siguifie droit direct & immédiat, c’est en ce sens que la coutume d’Anjou, art. 12. & celle du Maine, art. 13. appellent justice en nuesse, celles qui s’exercent nuement sur un fond. Nuesse se prend aussi quelquefois dans les mêmes coutumes pour district ou territoire soumis immédiatement au seigneur. Voyez Bodreau, sur l’art. 13. de la cout. du Maine, & le gloss. de Lauriere au mot nuesse. (A)