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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/627

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peuple. Enfin tribun désignoit chez les Romains, le chef d’une tribu. (D. J.)

Tribun du peuple, (Hist. & gouvern. rom.) magistrat romain, pris du peuple pour le garantir de l’oppression des grands, de la barbarie des usuriers, & pour défendre ses droits & sa liberté contre les entreprises des consuls & du sénat. En deux mots, les tribuns du peuple étoient censés ses chefs & ses protecteurs. Entrons dans les détails historiques qui concernent cette magistrature.

Le peuple ne pouvant cultiver ses terres à cause des querelles fréquentes que la république avoit à soutenir, il se trouva bientôt accablé de dettes, & se vit conduire impitoyablement en esclavage par ses créanciers, quand il ne pouvoit pas payer. Il s’adressa souvent au sénat pour trouver quelque soulagement, mais il ne put rien obtenir. Lassé des vaines promesses dont on l’amusoit depuis long-tems, il se retira un jour sur le mont Sacré, l’an de Rome 259, à l’instigation de Sicinius, homme de courage & de résolution ; ensuite il ne voulut point rentrer dans la ville qu’on ne lui eût remis toutes ses dettes, & promis de délivrer ceux qui étoient esclaves pour ce sujet. Il fallut outre cela, lui permettre de créer des magistrats pour soutenir ses intérêts. On les nomma tribuns, parce que les premiers furent pris d’entre les tribuns militaires. Ainsi on en créa deux dans les comices par curies ; & depuis la publication de la loi Publicola, l’an 283, on en nomma cinq dans les comices par tribus. Enfin l’an 297, on en élut dix, c’est-à-dire deux de chaque classe. Cicéron dit cependant qu’on en créa deux la premiere année, & dix la seconde, dans les comices par centuries.

Les tribuns du peuple tiroient au sort pour présider à ces assemblées par tribus, & s’il arrivoit que l’assemblée fût finie avant que tous les dix fussent nommés, le reste l’étoit par le college des tribuns ; mais cela fut abrogé par la loi Trébonia, l’an 305. On prétend qu’il y en avoit une ancienne qui ordonnoit que les tribuns qui n’auroient pas créé leurs successeurs pour l’année suivante, seroient brûlés vifs. C’est Valere Maxime qui le dit ; mais ce n’est pas un auteur de grande autorité.

Comme les premiers tribuns furent créés le quatrieme des ides de Décembre, dans la suite le même jour fut destiné pour l’élection de ces magistrats. Ces tribuns étoient toujours choisis d’entre le peuple. Aucun patricien ne pouvoit être revêtu de cette charge, à-moins que l’adoption ne l’eût fait passer dans l’ordre plébéien. Un plébéien qui étoit sénateur, ne pouvoit pas même être tribun.

Ils n’avoient point entrée au sénat ; ils demeuroient seulement assis sur les bancs vis-à-vis la porte du lieu où il étoit assemblé, d’où ils entendoient les résolutions qui s’y prenoient. Ils pouvoient cependant assembler le sénat quand il leur plaisoit. Dans la suite par la loi Atinia (Atinius étoit tribun l’an 633, selon Pighius), il fut ordonné qu’aucun romain ne pourroit être élu tribun du peuple, s’il n’étoit sénateur plébéien.

Au commencement l’unique devoir des tribuns étoit de protéger le peuple contre les patriciens ; en sorte que leur pouvoir consistoit plutôt à empêcher qu’à agir. Ils ne passerent pas d’abord pour magistrats ; aussi ne portoient-ils point la robe prétexte : on les regardoit plutôt comme le frein de la magistrature. Cependant dans la suite on leur donna communément le nom de magistrats. Ils avoient le droit de délivrer un prisonnier, & de le soustraire à un jugement prêt à être rendu contre lui. Aussi pour signifier qu’ils faisoient profession de secourir tout le monde, leurs maisons devoient être ouvertes jour & nuit, & il ne leur étoit pas permis de coucher hors de la ville, ni même d’en sortir, si nous en croyons Appien. (Civil.

l. II. pag. 736. Edit. Tollii.) D’ailleurs hors de Rome, ils n’avoient aucune autorité, si ce n’est dans les fêtes latines, ou lorsqu’ils sortoient pour les affaires de la république.

Leur principal pouvoir consistoit à s’opposer aux arrêts du sénat, & à tous les actes des autres magistrats, par cette formale si célebre : veto, intercedo, je m’oppose, j’interviens. La force de cette opposition étoit si grande, que quiconque n’y obéissoit pas, soit qu’il fût magistrat, soit qu’il fût particulier, on le faisoit aussi-tôt conduire en prison par celui qu’on nommoit viator ; ou bien on le citoit devant le peuple comme rebelle à la puissance sacrée qu’ils représentoient. De-là vient que quiconque les offensoit de parole ou d’action, étoit regardé comme un sacrilege, & ses biens étoient confisqués.

Lorsque les tribuns du peuple ne s’opposoient point aux decrets du sénat, on mettoit au bas de l’acte la lettre T, pour marquer l’approbation. S’ils s’opposoient, le decret n’étoit point appellé senatûs-consultum, mais seulement senatûs auctoritas. Dans l’enregistrement, ce mot signifioit que tel avoit été l’avis du sénat. Un seul tribun pouvoit s’opposer à ce que faisoient ses collegues, & il l’annuloit par cette opposition. Le sénat pour subjuguer le peuple, se servoit souvent de ce moyen, & tâchoit toujours de mettre de son côté quelqu’un des tribuns, pour rompre les mesures des autres.

Quoiqu’ils eussent déja une très-grande autorité, elle devint dans la suite bien plus considérable. En vertu de la puissance sacrée dont ils étoient revêtus, non seulement ils s’opposoient à tout ce qui leur déplaisoit, comme aux assemblées par tribus, & à la levée des soldats ; mais encore ils assembloient le sénat & le peuple quand ils vouloient, & ils rompoient les assemblées de même. Tous les plébiscites ou decrets du peuple qu’ils publioient, n’obligeoient au commencement que le peuple seul : dans la suite ils obligerent tous les trois ordres, & cela après la publication des lois Horatia & Hortensia, en 464 & 466. Enfin ils portoient si loin leur autorité, qu’ils donnoient ou ôtoient à qui bon leur sembloit, le maniement des deniers publics, la recette des impositions, les départemens, les magistratures, les commandemens d’armées, & toutes sortes de charges, &c. Par l’abus qu’ils firent de ce pouvoir immense, ils furent cause des plus grands troubles de la république, dont Cicéron se plaint amèrement, de legib. lib. III. c. ix.

Cette puissance illimitée ne subsista pas toujours. L. Sylla attaché au parti des grands, s’étant rendu maître de la république à main armée, diminua beaucoup l’autorité des tribuns, & l’anéantit presque entierement par une loi portée l’an 672, qui défendoit que celui qui avoit été tribun pût jamais parvenir à aucune autre charge. Il leur ôta par la même loi, le droit de haranguer le peuple, de faire des lois ; & les appellations à leur tribunal furent abolies. Il leur laissa seulement le droit de s’opposer.

Cependant le consul Cotta, l’an 679, leur rendit le droit de parvenir aux charges de la république ; & l’an 683, le grand Pompée les rétablit dans tous leurs anciens privileges. Leur puissance subsista jusqu’à Jules-César. La 731 année de Rome, le sénat rendit un decret par lequel il transféroit à Auguste & à ses successeurs, toute l’autorité des tribuns du peuple, qu’on continua de créer pour la forme. Auguste s’étant ainsi rendu maître de la puissance tribunitienne, n’accorda aux tribuns que le seul privilege de ne pouvoir être cités en jugement avant que d’avoir quitté leur charge ; & sous Tibere, ils eurent encore le droit fictif d’opposition. Enfin du tems des empereurs Nerva & Trajan, la dignité de tribun du peuple n’étoit plus qu’un fantôme, un vain titre sans fonction