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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/628

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& sans honneur. Ils resterent dans cet état jusqu’à Constantin le grand ; depuis son regne il n’est plus fait mention de cette magistrature.

Il ne me reste pour en compléter l’histoire, qu’à en reprendre les principaux faits, déja indiqués ou obmis.

Après de grandes divisions entre les praticiens & les plébéiens, le sénat consentit pour l’amour de la paix, à la création de nouveaux magistrats, qui furent nommés tribuns du peuple, l’an de Rome 260.

Il en fut fait un sénatus-consulte, & on élut dans le camp même pour les premiers tribuns du peuple, selon Denys d’Halicarnasse, L. Junius Brutus, & C. Sicinius Bellutus, les chefs du parti, qui associerent en même tems à leur dignité C. & P. Licinius, & Sp. Icilius Ruga. Tite-Live prétend que C. Licinius & Lucius Albinus, furent les premiers tribuns qui se donnerent trois collegues, parmi lesquels on compte Sicinius Bellutus ; cet historien ajoute, qu’il y avoit des auteurs qui prétendoient qu’il n’y eût d’abord que deux tribuns élus dans cette assemblée, & c’est l’opinion la plus commune.

Quoi qu’il en soit, on déclara avant que de quitter le camp, la personne des tribuns sacrée. Il en fut fait une loi, par laquelle il étoit défendu sous peine de la vie de faire aucune violence à un tribun, & tous les Romains furent obligés de jurer par les sermens les plus solemnels l’observation de cette loi. Le peuple sacrifia ensuite aux dieux sur la montagne même, & qu’on appella depuis le mont sacré, d’où il rentra dans Rome à la suite de ses tribuns & des députés du sénat.

Rome par l’établissement du tribunal, changea une seconde fois la forme de son gouvernement. Il étoit passé de l’état monarchique à une espece d’aristocratie, où toute l’autorité étoit entre les mains du sénat & des grands. Mais par la création des tribuns, on vit s’élever insensiblement une nouvelle démocratie, dans laquelle le peuple, sous différens prétextes, s’empara par degré de la meilleure partie du gouvernement.

Ces nouveaux magistrats n’avoient dans leur origine, ni la qualité de senateur, ni tribunal particulier, ni jurisdiction sur leurs citoyens, ni le pouvoir de convoquer les assemblées du peuple. Habillés comme de simples particuliers, & escortés d’un seul domestique appellé viateur, & qui étoit comme un valet de ville, ils demeuroient assis sur un banc au dehors du sénat ; ils n’y étoient admis que lorsque les consuls les faisoient appeller, pour avoir leur avis sur quelque affaire qui concernoit les intérêts du peuple ; toute leur fonction se réduisoit à pouvoir s’opposer aux ordonnances du sénat par le mot veto, qui veut dire je l’empêche, qu’ils mettoient au bas de ses decrets, quand ils les croyoient contraires à la liberté du peuple ; cette autorité étoit même renfermée dans les murailles de Rome, & tout au plus à un mille aux environs : & afin que le peuple eut toujours dans la ville des protecteurs prêts à prendre sa défense, il n’étoit point permis aux tribuns de s’en éloigner un jour entier, excepté dans les féries latines. C’étoit par la même raison qu’ils étoient obligés de tenir la porte de leurs maisons ouvertes jour & nuit, pour recevoir les plaintes des citoyens, qui auroient recours à leur protection.

De semblables magistrats sembloient n’avoir été institués que pour empêcher seulement l’oppression des malheureux ; mais ils ne se continrent pas dans un état si plein de modération. Il n’y eut rien dans la suite de si grand & de si élevé, où ils ne portassent leurs vûes ambitieuses. Ils entrerent bientôt en concurrence avec les premiers magistrats de la république ; & sous prétexte d’assurer la liberté du peuple, ils eurent pour objet de ruiner insensiblement l’autorité du sénat.

L’an de Rome 262, le peuple augmenta la puissance de ses tribuns, par une loi qui défendoit à personne d’interrompre un tribun qui parle dans l’assemblée du peuple romain.

L’an 283, on publia une loi qui ordonnoit que l’élection des tribuns se fît seulement dans une assemblée par tribus, & en conséquence on élut pour la premiere fois des tribuns de cette maniere.

La paix ayant succédé aux guerres contre les Volsques l’an 380 on vit renaître de nouvelles dissentions. Quelques plébéiens qui s’étoient distingués dans ces guerres, aspirerent au consulat, & au commandement des armées. Le petit peuple uniquement touché des incommodités de la vie, parut peu sensible à des prétentions si magnifiques. Les patriciens d’un autre côté s’y opposerent long-tems, & avec beaucoup de courage & de fermeté. Ce fut pendant plusieurs années un sujet continuel de disputes entre le sénat & les tribuns du peuple. Enfin les larmes d’une femme emporterent ce que l’éloquence, les brigues, & les cabales des tribuns, n’avoient pû obtenir : tant il est vrai que ce sexe aimable & rusé n’est jamais plus fort que quand il fait servir sa propre foiblesse aux succès de ses desseins. Voici le fait en peu de mots.

M. Fabius Ambustus avoit trois fils qui se distinguerent dans la guerre des Gaulois, & deux filles, dont l’aînée étoit mariée à S. Sulpicius, patricien de naissance, & qui étoit alors tribun militaire, & la cadette avoit épousé un riche plébéien, appellé C. Licinius Stolon. Un jour que la femme de ce plébéien se trouva chez sa sœur, le licteur qui précédoit Sulpicius à son retour du sénat, frappa à sa porte avec le bâton des faisceaux, pour annoncer que c’étoit le magistrat qui alloit rentrer. Ce bruit extraordinaire fit peur à la femme de Licinius ; sa sœur ne la rassura que par un souris fin, & qui lui fit sentir l’inégalité de leurs conditions. Sa vanité blessée par une différence si humiliante, la jetta dans une sombre mélancolie. Son pere & son mari lui en demanderent plusieurs fois le sujet, sans pouvoir l’apprendre. Elle affectoit d’en couvrir la cause par un silence opiniâtre. Ces deux romains à qui elle étoit chere, redoublerent leurs empressemens, & n’oublierent rien pour lui arracher son secret. Enfin après avoir résisté autant qu’elle crut le devoir faire pour exciter leur tendresse, elle feignit de se rendre, elle leur avoua les larmes aux yeux, & avec une espece de confusion, que le chagrin la feroit mourir, si étant sortie du même sang que sa sœur, son mari ne pouvoit pas parvenir aux mêmes dignités que son beau-frere.

Fabius & Licinius pour l’appaiser, lui firent des promesses solemnelles de n’épargner rien pour mettre dans sa maison les mêmes honneurs qu’elle avoit vus dans celle de sa sœur : & sans s’arrêter à briguer le tribunal militaire, ils porterent tout d’un coup leurs vûes jusque au consulat.

Le beau-pere quoique patricien, se joignit à son gendre : & par complaissance pour sa fille, ou par ressentiment de la mort de son fils, que le sénat avoit abandonné, il prit des intérêts opposés à ceux de son ordre. Licinius & lui associerent dans leur dessein L. Sextius d’une famille plébéïenne, également estimé par sa valeur & par son éloquence, intrépide défenseur des droits du peuple, & auquel de l’aveu mêmes des patriciens, il ne manquoit qu’une naissance plus illustre, pour pouvoir remplir toutes les charges de la république.

C. Licinius & L. Sextius convinrent d’abord de briguer le tribunal plébéien, afin de s’en faire comme un degré pour parvenir à la souveraine magistrature : ils l’obtinrent aisément. A peine eurent-ils fait ce premier pas, qu’ils résolurent de rendre le consulat commun aux deux ordres de la république, & ils y tra-