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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/334

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quand on tient un cheveu proche la prunelle, & qu’on regarde une bougie un peu éloignée, on apperçoit un rayon de chaque côté de la bougie, & chaque rayon est composé de trois ou quatre petites images de la bougie, un peu obscures & colorées ; ce qui prouve que chaque fibre du cheveu fait voir par refraction une bougie séparée des autres ; & comme il n’y a que la refraction qui donne des couleurs, les couleurs de chaque image concourent à prouver cette théorie.

Les modernes pensent que chaque cheveu & peut-être chaque fibre qui le compose, vit dans le sens stricte, qu’il reçoit un fluide qui le remplit & le dilate, & que sa nutrition ne differe pas de celle des autres parties. Ils opposent expériences à expériences : dans les personnes âgées, disent-ils, les racines des cheveux ne blanchissent pas plûtôt que les extrémités ; tout le cheveu change de couleur en même tems. Le même phénomene a lieu dans les enfans. Il y a nombre d’exemples de personnes qu’une grande frayeur ou qu’une douleur extrème a fait blanchir en une nuit. Leur sentiment est que les cheveux croissant de la tête, comme les plantes de la terre, ou comme certaines plantes parasites naissent & végetent des parties d’autres plantes ; quoique l’une de ces plantes tire sa nourriture de l’autre, cependant chacune a sa vie distincte, & son œconomie particuliere : de même le cheveu tire sa subsistance de certains sucs du corps, mais il ne la tire pas des sucs nourriciers du corps ; de-là vient que les cheveux peuvent vivre & croître quoique le corps dépérisse. Ce qui explique les faits rapportés dans les transactions philosophiques par Wulferus & Arnold. Wulferus dit que le tombeau d’une femme enterrée à Nuremberg, ayant été ouvert quarante ans après sa mort, on vit sortir à travers les fentes du cercueil, une si grande quantité de cheveux, qu’on pouvoit croire que le cercueil en avoit été tout couvert pendant quelque tems ; que le corps de la femme parut entier ; qu’il étoit enveloppé d’une longue chevelure épaisse & bouclée ; que le fossoyeur ayant porté la main sur la tête de ce cadavre, il tomba tout entier en poudre, & qu’il ne prit qu’une poignée de cheveux ; que les os du crane étoient réduits en poussiere ; que cependant ces cheveux avoient du corps & de la solidité. Arnold raconte d’un homme qui avoit été pendu pour vol, que ses cheveux s’allongerent considérablement, & que tout son corps se couvrit de poil, tandis qu’il étoit encore à la potence.

Quand le microscope ne feroit pas voir que les cheveux sont des corps fistuleux ; la plica, maladie dont les Polonois sont quelquefois attaqués, & dans laquelle le sang degoutte par les extrémités des cheveux, ne laisseroit sur ce fait aucun doute. Les fibres & l’enveloppe observées aux cheveux par M. Mariotte, sont réelles ; mais il y a de plus des nœuds semblables à ceux de quelque sorte d’herbes, & des branches qui partent de leurs jointures ; il coule un fluide entre ces fibres, & peut-être dans ces fibres mêmes, ce que M. Mariotte a nié. Chaque cheveu a une petite racine bulbuleuse, assez profonde, puisqu’elle est insérée jusque dans les papilles pyramidales ; c’est dans cette bulbe que se séparent les sucs qui le nourrissent.

Les cheveux blanchissent sur le devant de la tête, & sur-tout autour des tempes, & sur le haut plûtôt que sur le derriere de la tête & ailleurs, parce que leur suc nourricier y est plus abondant.

C’est la grandeur & la configuration des pores qui déterminent le diametre & la figure des cheveux ; si les pores sont petits, les cheveux sont fins ; s’ils sont droits, les cheveux sont droits ; s’ils sont tortueux, les cheveux sont frisés ; si ce sont des poligones, les cheveux sont prismatiques ; s’ils sont ronds, les cheveux sont cylindriques.

C’est la quantité du suc nourricier qui détermine leur longueur ; c’est sa qualité qui détermine leur couleur : c’est par cette raison qu’ils changent avec l’âge.

Le docteur Derham examina un poil de souris au microscope, & il lui parut n’être qu’un tuyau transparent, rempli d’une espece de moëlle ou substance fibreuse, formant des lignes obscures, tantôt transversales, tantôt spirales : ces lignes médullaires pouvoient passer pour des fibriles très-molles, entortillées, & plus serrées selon leur direction, qu’ailleurs ; s’étendant depuis la racine du poil jusqu’à l’extrémité, & peut-être destinées à quelque évacuation : d’où il inféra que le poil des animaux ne leur sert pas seulement à les garantir du froid, mais que c’est un organe de transpiration imperceptible. Je crois qu’on peut étendre cette induction à la chevelure de l’homme par deux raisons, 1° parce qu’il est évident par la plica, que c’est un assemblage de petits canaux, & que ces canaux sont ouverts par le bout : 2° parce qu’on guérit de maux de tête, en se coupant des cheveux, quand ils sont trop longs ; & qu’on se procure des maux d’yeux, quand on est d’un tempérament humide, & qu’on les rase.

La longue chevelure étoit chez les anciens Gaulois une marque d’honneur & de liberté. César qui leur ôta la liberté, leur fit couper les cheveux. Chez les premiers François, & dans les commencemens de notre monarchie, elle fut particuliere aux princes du sang. Grégoire de Tours assûre même que dans la seconde irruption qu’ils firent dans les Gaules, c’est-à-dire avant l’établissement de leur monarchie, ils se fixerent dans la Tongrie, c’est-à-dire le Brabant, & les environs de la Meuse, & qu’ils s’y choisirent des rois à longue chevelure, de la race la plus noble d’entre eux. On lit dans l’auteur des gestes de nos rois, que les François élurent Pharamond fils de Marcomir, & placerent sur le throne un prince à longue chevelure. Franci elegerunt Pharamundum filium ipsius Marcomiri, & levaverunt eum super se regem crinitum. On sait que Clodion fut surnommé par la même raison le chevelu. Au reste, ce droit de porter de longs cheveux étoit commun à tous les fils de rois. Clovis, l’un des fils de Chilpéric & d’Andouere, fut reconnu à sa longue chevelure par le pêcheur qui trouva son corps dans la riviere de Marne, où Fredegonde l’avoit fait jetter. Gondebaud qui se prétendit fils de Clotaire, ne produisoit d’autre titre de son état que des cheveux longs ; & Clotaire pour déclarer qu’il ne le reconnoissoit pas pour son fils, se contenta de les lui faire couper. Cette cérémonie emportoit la dégradation. Le prince rasé étoit déchu de toutes ses prétentions : on voit cet usage pratiqué à la déposition de quelques-uns de nos princes renfermés dans les monasteres. On fait remonter jusqu’au tems des premiers Gaulois, l’origine de l’usage de se couper les cheveux, en signe de la rénonciation à toutes prétentions mondaines que faisoient ou étoient censés faire ceux qui embrassoient la vie monastique. Tant que les longs cheveux furent la marque du sang royal, les autres sujets les porterent coupés courts autour de la tête. Quelques auteurs prétendent qu’il y avoit des coupes plus ou moins hautes, selon le plus ou moins d’infériorité dans les rangs ; ensorte que la chevelure du monarque devenoit, pour ainsi dire, l’étalon des conditions.

Au huitieme siecle, les gens de qualité faisoient couper les premiers cheveux à leurs enfans par des personnes qu’ils honoroient, & qui devenoient ainsi les parrains spirituels de l’enfant. Mais s’il est vrai qu’un empereur de Constantinople témoigna au pape le désir que son fils en fût adopté en lui envoyant sa premiere chevelure, il falloit que cette coûtume fût antérieure au viij. siecle. V. Parrain, Adoption.