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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/843

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ou ces deux actions seroient simultanées. Si l’action de Dieu précede l’action de la créature, il ne reste donc rien à faire pour la créature ; de même si c’est l’action de la créature qui précede celle de Dieu, l’influence de Dieu est inutile, parce que l’effet est produit par l’action qui précede, soit que cette action vienne de Dieu, soit qu’elle appartienne à la créature. Enfin si deux actions sont simultanées, l’une des deux devient inutile, parce qu’une seule suffit pour produire l’effet. Voilà apparemment ce que nieront les auteurs qui soutiennent le concours immédiat : ils en fondent la nécessité sur le souverain domaine que Dieu a sur toutes les créatures, & plus encore sur la conservation qui selon eux est une création continuée : voici comme ils raisonnent. La conservation étant une création continuée, Dieu est obligé de produire des substances dans tous les instans : or Dieu ne peut pas produire des substances qu’il ne les produise revêtues de leur modification ; il ne les produit pas sans doute comme des êtres sans formes, & comme des especes, ou quelqu’autre des universaux de Logique : or parmi les modifications dont les substances sont doüées, on y doit comprendre tous les actes par lesquels elles se modifient : donc Dieu les produit immédiatement avec les créatures : donc il faut admettre le concours immédiat. Mais ce sentiment paroît blesser la liberté, c’est du moins la conséquence que tire M. Bayle ; jugez s’il est conséquent dans son raisonnement. Il me semble, dit cet auteur, qu’il en faut conclure que Dieu a fait tout ce qui n’avoit point dans toutes les créatures, des causes premieres, secondes, & même occasionnelles, comme il est aisé de le prouver ; car en ce moment où je parle, je suis tel que je suis avec mes circonstances, avec telle pensée, avec telle action, assis ou debout : que si Dieu m’a créé au commencement tel que je suis, comme on doit nécessairement le dire dans ce systême, il m’a créé, avec telle pensée, telle action, tel mouvement, & telle détermination ; on ne peut dire que Dieu m’a créé éxistant, qu’il ne produise avec moi mes mouvemens & mes déterminations. Cela est incontestable pour deux raisons : la premiere est, que quand il me crée & me conserve à cet instant, il ne me conserve pas comme un être sans forme, comme une espece, ou quelqu’autre des universaux de Logique ; je suis un individu, il me crée & me conserve comme tel, étant tout ce que je suis dans cet instant. M. Bayle pousse encore davantage cette objection. Quoi, dit-il, rejetterons-nous la subsistance continue des créatures à cause des fâcheuses conséquences ? Sont-elles à comparer avec celles dont nous venons de parler ci-dessus ? L’hypothese de ces gens-là est une pure imagination inconcevable.

Il vient au concours immédiat, qui est une suite de la création sans cesse renouvellée, & dit, que si on veut que Dieu soit l’auteur immédiat de toutes les déterminaisons & de toutes les actions, il sera vrai aussi que nous serons de purs automates, de simples sujets purement passifs, & incapables d’aucun penchant, ni d’aucune détermination ; & si cela est, que deviendra le péché ? Car enfin qu’il soit néant tant qu’il voudra, l’homme ne sera néant que par son inaction qui lui est essentielle, & Dieu ne lui peut demander compte du mauvais usage d’une faculté qu’il ne lui a jamais donnée ; ainsi ce sentiment n’est pas compatible avec l’idée la plus saine qu’on puisse avoir du péché.

Telles sont les objections de M. Bayle contre le concours immédiat : il est certain que quelque système qu’on suive sur cet article, il restera toûjours de l’obscurité ; mais il est encore plus certain que la Toute-puissance de Dieu & la liberté de l’homme sont deux vérités incontestables.

Le système qui attribue aux ames le pouvoir de remuer les corps, outre qu’il n’est pas chargé de fâcheuses conséquences, est un sentiment si naturel & si général, qu’on ne devroit point s’y opposer, à moins qu’il ne fût combattu par des raisons convaincantes, ou prises de la question en elle-même, ou prises de la gloire de Dieu. Mais, dira-t-on, nous ne pouvons concevoir comment une ame qui est intelligente peut remuer la matiere qui est une substance étendue. Mais conçoit-on mieux le concours ? D’ailleurs, est-ce une raison suffisante pour nier une chose, de dire je ne la conçois pas ? Savez-vous comment l’ame forme ses volitions ? Vous ne la dépouillerez pas sans doute de ce pouvoir, à moins que vous n’en fassiez une simple machine.

Les anges sont appellés dans l’Ecriture les exécuteurs de la loi divine. Quand Dieu envoya l’ange exterminateur qui fit mourir tous les premiers nés d’Egypte, dans la supposition que Dieu est le principe de l’activité des intelligences & du mouvement du corps, que faisoit cet ange ? son dessein étoit de tuer tous les premiers nés, il venoit de l’ordre de Dieu immédiatement, l’action physique qui fit mourir les premiers nés n’en venoit pas moins ; c’étoit donc Dieu qui agissoit alors immédiatement : encore un coup, qu’y faisoit la présence de l’ange ? Saint Paul nous dit que la loi a été donnée par le ministere des anges ; si les intelligences n’ont aucun pouvoir de remuer la matiere, ce fut Dieu lui-même qui immédiatement fit paroître ces éclairs, ces tonnerres, cette voix éclatante qui a prononcé la loi ; les démons même sont représentés comme ayant le pouvoir de remuer la matiere : ferez-vous intervenir Dieu dans toutes les actions machinales du démon ? sera-ce Dieu qui, à l’occasion des possédés, les obligera à se jetter sur les passans ? Si cela est, lorsque le diable par des prestiges tente tous les hommes, ce sera par le ministere de Dieu même, puisque c’est le prestige qui séduit les hommes. Voici toutes les conséquences que je tire de tout ce que je viens de dire. Si les intelligences qui ne sont pas réunies à la matiere ont le pouvoir de la remuer, pourquoi le refuser à l’ame ? Une autre conséquence qui suit de ce principe, est que le concours immédiat, la prémotion physique, & la création renouvellée, tombent par-là, se détruisent, & renversent deux partis, qui ne sachant pas garder un juste milieu, tombent dans ces excès sous prétexte de mieux combattre les propositions de leurs adversaires. On peut encore presser ainsi les défenseurs du concours immédiat : votre concours immédiat est ou simultané, ou prévenant ; il n’y a point là de milieu : or il ne peut être ni l’un ni l’autre. 1°. Il ne peut être simultané ; car en quoi consiste le concours simultané ? n’est-ce pas dans deux causes paralleles, qui ne tirant leur force & leur activité que d’elles-mêmes, agissent de concert pour produire le même effet, de maniere pourtant que l’effet soit divisé & partagé entr’elles ? Or ceci ne peut avoir lieu dans l’hypothese du concours immédiat : 1°. parce que les créatures étant subordonnées à Dieu, tirent de lui toutes leurs forces & toute leur activité : 2°. parce que les actions des créatures étant spirituelles, & par-là simples & indivisibles, si Dieu les produit par l’influence qu’il verse dans les créatures, il faut nécessairement qu’il les produise toutes entieres ; deux conséquences qui renversent absolument le concours immédiat. Il reste donc que le concours immédiat soit prévenant ou déterminant : or ce concours se confond avec la prémotion physique, & par conséquent il doit être enveloppé dans ses ruines. Voyez l’article Prémotion.

Concours, (Jurispr.) en matiere civile, se dit lorsque plusieurs personnes prétendent chacune avoir droit au même objet.