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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/431

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me d’esprit ni un sot, c’est un fat ; c’est le modele d’une infinité de jeunes sots mal élevés. Cet article est de M. Desmahis.

FATALITÉ, s. f. (Métaph.) c’est la cause cachée des évenemens imprévûs, relatifs au bien ou au mal des êtres sensibles.

L’évenement fatal est imprévû ; ainsi on n’attribue point à la fatalité les phénomenes réguliers de la nature, lors même que les causes en sont cachées, la mort qui suit une maladie chronique & inconnue.

L’évenement fatal tient à des causes cachées, ou est considéré dans ses rapports avec celles d’entre ses causes qui nous sont inconnues. Si dans la disposition-d’une bataille je vois un homme placé vis-à-vis de la bouche d’un canon prêt à tirer, sa situation étant donnée, & l’action du canon étant prévûe, je ne regarderai plus sa mort comme fatale par rapport à ces deux causes que je connois ; mais je retrouverai la fatalité dans cette multitude de causes éloignées, cachées & compliquées, qui ont fait qu’entre une infinité d’autres parties de l’espace qu’il pouvoit occuper également, il occupât précisément celle qui est dans la direction du canon.

Enfin un évenement, quoiqu’imprévû & tenant à des causes cachées, n’est appellé fatal que lorsqu’il a quelqu’influence sur le bien ou le mal des êtres sensibles : car si je parie ma vie ou ma fortune que je n’amenerai pas six fois de suite le même point de dés, & que je l’amene, on s’en prendra à la fatalité ; mais si en remuant des dés sans dessein & sans intérêt, la même chose m’arrive, on attribuera ce phénomene au hasard.

Mais remontons à l’origine du mot fatalité, pour fixer plus sûrement nos idées sur l’usage qu’on en fait.

Fatalité vient de fatum, latin. Fatum a été fait de fari, & il a signifié d’abord, d’après son origine, le decret par lequel la cause premiere a déterminé l’existence des évenemens relatifs au bien ou au mal des êtres sensibles ; car quoique ce decret ait dû déterminer également l’existence de tous les effets, les hommes rapportant tout à eux, ne l’ont considéré que du côté par lequel il les intéressoit.

A ce decret on a substitué ensuite dans la signification du mot fatum une idée plus générale, les causes cachées des évenemens ; & comme on a pensé que ces causes étoient liées & enchaînées les unes aux autres, on a entendu par le mot de fatum, la liaison & l’enchaînement de ces causes. En ce sens le mot fatum a répondu exactement à l’εἱμαρμένη des Grecs, que Chrysippe définit dans Aulugelle, l. VI. l’ordre & l’enchaînement naturel des choses, φυσικὴν σύνταξιν τῶν ὅλων.

Le mot fatum a subi encore quelques changemens dans sa signification en passant dans notre langue, & en formant fatalité ; car nous avons employé particulierement le mot fatalité pour désigner les évenemens fâcheux ; au lieu que dans son origine il a signifié indifféremment la cause des évenemens heureux & malheureux : il a même gardé cette double signification dans le langage philosophique, & nous la lui conserverons. Quoique l’abus des termes généraux ait enfanté mille erreurs, ils sont toûjours précieux, parce qu’on ne peut pas sans leur secours s’élever aux abstractions de la Métaphysique.

Destin & destinée sont synonymes de fatalité, pris dans le sens général que nous venons de lui donner. Ils le sont aussi dans leur origine, puisqu’ils viennent de destinatum, ce qui est arrêté, déterminé, destiné. Voyez Destin, Destinée.

On ne peut pas employer l’un pour l’autre, les mots de hasard & de fatalité ; on peut s’en convaincre par l’exemple que nous avons donné plus haut de l’emploi du mot hasard, & par les remarques suivantes.

Dans l’usage qu’on fait du mot hasard, il arrive souvent, & même en Philosophie, qu’on semble vouloir exclure d’un évenement l’action d’une cause déterminée ; au lieu qu’en employant le mot de fatalité, on a ces causes en vûe, quoiqu’on les regarde comme cachées : or comme il n’y a point d’évenement qui n’ait des causes déterminées, il suit de-là que le mot de hasard est souvent employé dans un sens faux.

On entend aussi par une action faite par le hasard, une action faite sans dessein formé ; & on voit encore que cette signification n’a rien de commun avec celle de fatalité, puisque ce hasard est aveugle, au lieu que la fatalité a un but auquel elle conduit les êtres qui sont sous son empire.

De plus, on imagine que les évenemens qu’on attribue au hasard, pouvoient arriver tout autrement, ou ne point arriver du-tout ; au lieu qu’on se représente ceux que la fatalité amene, comme infaillibles ou même-nécessaires.

Les anciens ont aussi distingué le hasard de la fatalité, à-peu-près de la même maniere ; leur casus est très-différent de leur fatum, & répondoit aux mêmes idées que le mot hasard parmi nous.

La fortune n’est autre chose que la fatalité, entant qu’elle amene la possession ou la privation des richesses & des honneurs : d’où l’on peut voir que fortune dans notre langue est moins général que fatalité ou destin, puisque ces derniers mots désignent tous les évenemens qui sont relatifs aux êtres sensibles ; au lieu que celui-là ne s’applique qu’aux évenemens qui amenent la possession ou la privation des richesses & des honneurs. C’est pourquoi si un homme perd la vie par un évenement imprévû, on attribue cet évenement au destin, à la fatalité ; s’il perd ses biens, on accuse la fortune. Voyez Fortune.

La fortune est bonne ou mauvaise, le destin est favorable ou contraire, on est heureux ou malheureux. La fatalité est la derniere raison qu’on apporte des faveurs ou des rigueurs de la fortune, du bonheur ou du malheur.

Pour remonter aux idées les plus générales, nous allons donc traiter de la fatalité ; & d’après la notion que nous en avons donnée, nous examinerons les questions suivantes.

1°. Y a-t-il une cause qui détermine l’existence de l’évenement fatal, & quelle est cette cause ?

2°. La liaison de cette cause avec l’évenement fatal est-elle nécessaire ?

3°. Cette liaison est-elle infaillible ? peut-elle être rompue ? l’évenement fatal peut-il ne point arriver ?

4°. En supposant cette infaillibilité de l’évenement, les êtres actifs & libres peuvent-ils la faire entrer pour quelque chose dans les motifs de leurs déterminations ?

Premiere Question.
Y a-t-il une cause de l’évenement fatal, & quelle est cette cause ?

Pour résoudre cette question, il est nécessaire de remonter à des principes généraux.

Tout fait a une raison suffisante de son actualité. La raison suffisante d’un fait, est la raison suffisante de l’action de sa cause sur lui ; mais la raison suffisante de l’action de cette cause est elle-même un effet qui a sa raison suffisante, & cette derniere raison suppose & explique encore l’action d’une seconde cause, & ainsi de suite en remontant, &c.

Un fait quelconque tient donc à une cause prochaine & à des causes éloignées, & ces causes prochaines & éloignées tiennent les unes aux autres.

Nous ne connoissons guere que les causes les plus prochaines des faits, des évenemens, parce que la multitude des causes éloignées, & la maniere se-