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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/508

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faut observer que les feuilles extérieures, celles qui touchent immédiatement à l’enclume & au marteau, ne s’étendent pas autant que celles qui sont renfermées entr’elles, celles-ci conservant la chaleur plus long-tems, & cedant par conséquent aux coups plûtôt & plus long-tems.

Après cette premiere façon, parmi ces feuilles on en entre-larde quelques-unes qui dans le travail précédent n’avoient pas été assez étendues ; puis on fait la même opération sur tous les paquets ou trousses. On remet au feu chaque paquet entre-lardé, on chauffe. Quand le tout est assez chaud, on retire les feuilles du feu par paquets d’environ cent feuilles chacun. On divise un paquet en deux parties égales, & l’on applique ces deux parties de maniere que ce qui étoit en-dedans se trouve en-dehors. On les porte en cet état sous le gros marteau, on bat, on épuise la trousse : on entre-larde encore des feuilles de rebut, on remet au feu, on retire du feu : on divise encore en deux parties chaque paquet, remettant le dedans en-dehors, & l’on bat pour la troisieme fois sous le marteau. Il faut observer que dans les deux dernieres opérations on ne remet plus en trousse, on se contente seulement de rechauffer par paquet. Dans la succession de ce travail, chaque feuille a eu un côté tourné vers le dedans de la trousse ou du paquet, & un côté tourné vers le marteau, & exposé à l’action immédiate du feu. Ce dernier côté a nécessairement été mieux plané que l’autre, plus net, moins chargé de crasse ; ce qui produit aussi quelque inégalité dans le succès de l’étamage.

Tandis qu’on forme une nouvelle trousse dans la forge A, & que des feuilles s’y préparent à être mises dans l’état où nous avons conduit celles-ci, les mêmes ouvriers rognent ; ils se servent pour cet effet d’une cisaille, & d’un chassis qui détermine l’étendue de la feuille. Chaque feuille est rognée séparément. Quand les feuilles sont rognées & équarries, opération dans laquelle chaque feuille pliée se trouve coupée en deux, la cisaille emportant le pli, on prend toutes ces feuilles, on en forme des piles sur deux grosses barres de fer rouge qu’on met à terre ; on contient ces piles par une ou deux autres grosses barres de fer rouges qu’on pose dessus.

Cependant les feuilles de la trousse en travail, du paquet qui suit, s’avancent jusqu’à l’état d’être équarries ; mais dans la chaude qui précede immédiatement leur équarrissage, on divise chaque paquet en deux, & l’on met entre ces deux portions égales de feuilles non-équarries, une certaine quantité de feuilles équarries : on porte le tout sous le gros marteau ; on bat, & les feuilles équarries reçoivent ainsi leur dernier poli. Après cette opération, les feuilles équarries des paquets iront à la cave, & les non-équarries, à la cisaille.

De ces feuilles prêtes à aller à la cave, les unes sont gardées en tôle, ce sont les moins parfaites ; les autres sont destinées à être mises en fer blanc. Avant que de les y porter, on les décape grossierement au grès, puis elles descendent à la cave ou étuve, où elles sont mises dans des tonneaux pleins d’eaux sûres, c’est-à-dire dans un mélange d’eau & de farine de seigle, à laquelle on a excité une fermentation acéteuse, par l’action d’une grande chaleur répandue & entretenue par des fourneaux F dans ces caves, où il put fort, & où il fait très-chaud. C’est-là qu’elles achevent de se décaper, c’est-à-dire que la crasse de forge qui les couvre encore, en est tout-à-fait enlevée. Peut-être feroit-on bien d’enlever en partie cette crasse des feuilles avant que de les mettre dans l’eau sûre ; cette eau en agiroit sûrement d’autant mieux. Les feuilles passent trois fois vingt-quatre heures dans ces eaux, où on les tourne & retourne de tems en tems, pour les exposer à l’action du fluide

en tout sens ; puis on les retire, & on les donne à des femmes G, qui se servent pour cet effet de sable, d’eau, de liége, & d’un chiffon : cela s’appelle blanchir, & les ouvriers & ouvrieres occupés à ce travail, blanchisseurs. Après l’écurage ou blanchiment des feuilles, on les jette à l’eau pour les préserver de la grosse rouille ; la rouille fine qui s’y forme, tombe d’elle-même : c’est de-là qu’elles passent à l’étamage.

L’attelier d’étamage E consiste en une chaudiere de fer fondu, E, placée dans le milieu d’une espece de table de plaques de fer inclinées legerement vers la chaudiere qu’elles continuent proprement. Cette chaudiere a beaucoup plus de profondeur que n’a de hauteur la feuille qui s’y plonge toûjours verticalement, & jamais à plat ; elle contient 1500 à 2000 d’étain. Dans le massif qui soûtient ceci, est pratiqué un four, comme de boulanger, dont la cheminée est sur la gueule, & qui n’a d’autre ouverture que cette gueule, qui est opposée au côté de l’étameur. Ce four se chauffe avec du bois.

L’étamage doit commencer à six heures du matin. La veille de ce jour, l’étameur met son étain à fondre en F à dix heures du soir ; il fait feu, son étain est bientôt fondu : il le laisse six heures en fusion, puis il y introduit l’arcane, qu’on ignore ; il est à présumer que c’est du cuivre, & ce soupçon est fondé sur ce que la chose qu’on ajoûte doit servir à la soudure : or le cuivre peut avoir cette qualité, puisqu’il est d’une fusibilité moyenne entre le fer & l’étain. Peut-être faudroit-il employer celui qui a été enlevé des vaisseaux de cuivre étamés, & qui a déjà avec lui une partie d’étain. Il ne faut ni trop ni trop peu d’arcane. L’arcane est en si petite quantité dans l’étain, qu’en enlevant l’étamage d’un grand nombre de plaques de fer étamées, & faisant l’essai de cet étain, on ne peut rendre l’addition sensible : il faut donc très-peu d’addition. Nous pouvons assûrer que c’est un alliage ; mais s’il en faut peu, il ne faut non plus ni trop ni trop peu de feu. Mais ces choses ne se décrivent point, & font l’ouvrier ; elles consistent dans un degré qui ne s’apprécie que par l’usage.

On fait fondre l’étain sous un tectum de suif de quatre à cinq pouces d’épaisseur, parce que l’étain fondu se calcine facilement quand il est en fusion, & qu’il a communication avec l’air. Cette précaution empêche la communication, & peut même réduire quelque petite portion d’étain qui pourroit se calciner ; secret que n’ignorent point les fondeurs de cuilleres d’étain. Ils savent bien que la prétendue crasse qui se forme à la surface de l’étain qu’ils fondent, est une véritable chaux d’étain qu’ils pourront réduire en la fondant avec du suif ou autre matiere grasse. Ce tectum de suif est de suif brûlé, & c’est-là ce qui lui donne sa couleur noire.

Dès les six heures du matin, lorsque l’étain a le degré de chaleur convenable (car s’il n’est pas assez chaud, il ne s’attache point au fer ; trop chaud, l’étamage est trop mince & inégal), on commence à travailler. On trempe dans l’étain, en F, les feuilles retirées de l’eau ; l’ouvrier les jette ensuite à côté, sans s’embarrasser de les séparer les unes des autres, & en effet elles sont presque toutes prises ensemble. Ce premier travail fait sur toutes les feuilles, l’ouvrier en reprend une partie qu’il trempe toutes ensemble dans son étain fondu : il les y tourne, retourne en tout sens, divisant, soûdivisant son paquet sans le sortir de la chaudiere ; puis il les prend une à une, & les trempe séparément dans un espace séparé par une plaque de fer qui forme dans la chaudiere même un retranchement. Il les tire donc de la grande partie de la chaudiere, pour les plonger une à une dans ce retranchement. Cela fait, il les met à égoutter sur deux petites barres de fer assemblées parallelement, & hérissées d’autres petites barres de