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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/227

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nant l’une par l’autre, constatent la vérité.

Doit-on dans l’histoire insérer des harangues, & faire des portraits ? Si, dans une occasion importante, un général d’armée, un homme d’état a parlé d’une maniere singuliere & forte qui caractérise son génie & celui de son siecle, il faut sans doute rapporter son discours mot pour mot ; de telles harangues sont peut-être la partie de l’histoire la plus utile. Mais pourquoi faire dire à un homme ce qu’il n’a pas dit ? Il vaudroit presque autant lui attribuer ce qu’il n’a pas fait ; c’est une fiction imitée d’Homere. Mais ce qui est fiction dans un poëme, devient à la rigueur mensonge dans un historien. Plusieurs anciens ont eu cette méthode ; cela ne prouve autre chose, sinon que plusieurs anciens ont voulu faire parade de leur éloquence aux dépens de la vérité.

Les portraits montrent encore bien souvent plus d’envie de briller que d’instruire : des contemporains sont en droit de faire le portrait des hommes d’état avec lesquels ils ont négocié, des généraux sous qui ils ont fait la guerre. Mais qu’il est à craindre que le pinceau ne soit guidé par la passion ! Il paroît que les portraits qu’on trouve dans Clarendon sont faits avec plus d’impartialité, de gravité & de sagesse, que ceux qu’on lit avec plaisir dans le cardinal de Retz.

Mais vouloir peindre les anciens, s’efforcer de développer leurs ames, regarder les évenemens comme des caracteres avec lesquels on peut lire sûrement dans le fond des cœurs ; c’est une entreprise bien délicate ; c’est dans plusieurs une puérilité.

De la maxime de Ciceron concernant l’histoire ; que l’historien n’ose dire une fausseté, ni cacher une vérité. La premiere partie de ce précepte est incontestable ; il faut examiner l’autre. Si une vérité peut être de quelque utilité à l’état, votre silence est condamnable. Mais je suppose que vous écriviez l’histoire d’un prince qui vous aura confié un secret, devez-vous le révéler ? Devez-vous dire à la postérité ce que vous seriez coupable de dire en secret à un seul homme ? le devoir d’un historien l’emportera-t-il sur un devoir plus grand ?

Je suppose encore que vous ayez été témoin d’une foiblesse qui n’a point influé sur les affaires publiques, devez-vous révéler cette foiblesse ? En ce cas, l’histoire seroit une satyre.

Il faut avouer que la plûpart des écrivains d’anecdotes sont plus indiscrets qu’utiles. Mais que dire de ces compilateurs insolens, qui se faisant un mérite de médire, impriment & vendent des scandales, comme Lecauste vendoit des poisons.

De l’histoire satyrique. Si Plutarque a repris Hérodote de n’avoir pas assez relevé la gloire de quelques villes greques ; & l’avoir omis plusieurs faits connus dignes de mémoire, combien sont plus répréhensibles aujourd’hui ceux qui, sans avoir aucun des mérites d’Hérodote, imputent aux princes, aux nations, des actions odieuses ; sans la plus légere apparence de preuve. La guerre de 1741 a été écrite en Angleterre. On trouve, dans cette histoire, qu’à la bataille de Fontenoy les François tirerent sur les Anglois avec des balles empoisonnées & des morceaux de verre venimeux, & que le duc de Cumberland envoya au roi de France une boëte pleine de ces prétendus poisons trouvés dans les corps des Anglois blessés. Le même auteur ajoûte que les François ayant perdu quarante mille hommes à cette bataille, le parlement de Paris rendit un arrêt par lequel il étoit défendu d’en parler sous des peines corporelles.

Des mémoires frauduleux, imprimés depuis peu, sont remplis de pareilles absurdités insolentes. On y trouve qu’au siége de Lille les alliés jettoient des billets dans la ville conçus en ces termes : François, consolez-vous, la Maintenon ne sera pas votre reine.

Presque chaque page est remplie d’impostures & de termes offensans contre la famille royale & contre les familles principales du royaume, sans alléguer la plus légere vraissemblance qui puisse donner la moindre couleur à ces mensonges. Ce n’est point écrire l’histoire, c’est écrire au hazard des calomnies.

On a imprimé en Hollande, sous le nom d’histoire, une foule de libelles, dont le style est aussi grossier que les injures, & les faits aussi faux qu’ils sont mal écrits. C’est, dit-on, un mauvais fruit de l’excellent arbre de la liberté. Mais si les malheureux auteurs de ces inepties ont eu la liberté de tromper les lecteurs, il faut user ici de la liberté de les détromper.

De la méthode, de la maniere d’écrire l’histoire, & du style. On en a tant dit sur cette matiere, qu’il faut ici en dire très-peu. On sait assez que la méthode & le style de Tite-Live, sa gravité, son éloquence sage, conviennent à la majesté de la république romaine ; que Tacite est plus fait pour peindre des tyrans, Polybe pour donner des leçons de la guerre, Denys d’Halycarnasse pour développer les antiquités.

Mais en se modélant en général sur ces grands maîtres, on a aujourd’hui un fardeau plus pesant que le leur à soutenir. On exige des historiens modernes plus de détails, des faits plus constatés, des dates précises, des autorités, plus d’attention aux usages, aux lois, aux mœurs, au commerce, à la finance, à l’agriculture, à la population. Il en est de l’histoire comme des Mathématiques & de la Physique. La carriere s’est prodigieusement accrue. Autant il est aisé de faire un recueil de gazettes, autant il est difficile aujourd’hui d’écrire l’histoire.

On exige que l’histoire d’un pays étranger ne soit point jettée dans le même moule que celle de votre patrie.

Si vous faites l’histoire de France, vous n’êtes pas obligé de décrire le cours de la Seine & de la Loire ; mais si vous donnez au public les conquêtes des Portugais en Asie, on exige une topographie des pays découverts. On veut que vous meniez votre lecteur par la main le long de l’Afrique, & des côtes de la Perse & de l’Inde ; on attend de vous des instructions sur les mœurs, les lois, les usages de ces nations nouvelles pour l’Europe.

Nous avons vingt histoires de l’établissement des Portugais dans les Indes ; mais aucune ne nous a fait connoître les divers gouvernemens de ce pays, ses religions, ses antiquités, les Brames, les disciples de Jean, les Guebres, les Banians. Cette réflexion peut s’appliquer à presque toutes les histoires des pays étrangers.

Si vous n’avez autre chose à nous dire, sinon qu’un Barbare a succédé à un autre Barbare sur les bords de l’Oxus & de l’Iaxarte, en quoi êtes-vous utile au public ?

La méthode convenable à l’histoire de votre pays n’est pas propre à écrire les découvertes du nouveau monde. Vous n’écrirez point sur une ville comme sur un grand empire ; vous ne ferez point la vie d’un particulier comme vous écrirez l’histoire d’Espagne ou d’Angleterre.

Ces regles sont assez connues. Mais l’art de bien écrire l’Histoire sera toujours très-rare. On sait assez qu’il faut un style grave, pur, varié, agréable. Il en est des lois pour écrire l’Histoire comme de celles de tous les arts de l’esprit ; beaucoup de préceptes, & peu de grands artistes. Cet article est de M. de Voltaire.

Histoire Naturelle. L’objet de l’Histoire naturelle est aussi étendu que la nature ; il comprend tous les êtres qui vivent sur la terre, qui s’élevent dans l’air, ou qui restent dans le sein des eaux, tous