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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/759

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que cette adresse ne fut pas inutile aux soldats romains, dans un de leurs combats contre les Jaziges.

Telle étoit la lutte dans laquelle les athlètes combattoient debout, & qui se terminoit par la chûte ou le renversement à terre de l’un des deux combattans. Mais lorsqu’il arrivoit que l’athlete terrassé entraînoit dans sa chûte son antagoniste, soit par adresse, soit autrement, le combat recommençoit de nouveau, & ils luttoient couchés sur le sable, se roulant l’un sur l’autre, & s’entrelaçant en mille façons jusqu’à ce que l’un des deux gagnant le dessus, contraignît son adversaire à demander quartier & à se confesser vaincu.

Une troisieme espece de lutte se nommoit ἀκροχειρισμὸς, parce que les athletes n’y employoient que l’extrémité de leurs mains sans se prendre au corps, comme dans les deux autres especes. Il paroît que l’ἀκροχειρισμὸς étoit un prélude de la véritable lutte, par lequel les athletes essayoient réciproquement leurs forces, & commençoient à dénouer leurs bras.

En effet, cet exercice consistoit à se croiser les doigts, en se les serrant fortement, à se pousser en joignant les paumes des mains, à se tordre les poignets & les jointures des bras, sans seconder ces divers efforts par le secours d’aucun autre membre ; & la victoire demeuroit à celui qui obligeoit son concurrent à demander quartier. Pausanias parle de l’athlete léontisque, qui ne terrassoit jamais son adversaire dans cette sorte de combat, mais le contraignoit seulement en lui serrant les doigts de se confesser vaincu.

Cette sorte de lutte, qui faisoit aussi partie du pancrace, étoit connue d’Hipocrate, lequel, dans le II. livre du régime, l’appelle ἀκροχειρίν, & lui attribue la vertu d’exténuer le reste du corps & de rendre les bras plus charnus.

Comme nous ne pouvons plus voir ces sortes de combats, & que le tems des spectacles de la lutte est passé, le seul moyen d’y suppléer à quelques égards, c’est de consulter pour nous en faire une idée, ce que la gravure & la sculpture nous ont conservé de monumens qui nous représentent quelques parties de l’ancienne gymnastique, & sur-tout de recourir aux descriptions que les poëtes nous en ont laissées, & qui sont autant de peintures parlantes, propres à mettre sous les yeux de notre imagination les choses que nous ne pouvons envisager d’une autre maniere.

La description que fait Homere, Iliade, l. XXIII. vers. 708 & suivans, de la lutte d’Ajax & d’Ulysse, l’emporte sur tous les autres pour la force, pour le naturel & pour la précision. La lutte d’Hercule & d’Achéloüs, si fameuse dans la fable, a servi de matiere au tableau poétique qu’Ovide en a fait dans le neuvieme de ses métamorphoses. On peut voir aussi de quelle maniere Lucain dans sa pharsale, l. IV. vers. 610. & suivans, décrit la lutte d’Hercule & d’Antée. La lutte de Tydée & d’Agyllée, peinte par Stace dans sa Thébaïde, liv. VI. vers. 847. est sur-tout remarquable par la disproportion des combattans, dont l’un est d’une taille gigantesque, & l’autre d’une taille petite & ramassée.

Ces quatre portraits méritent d’autant mieux d’être consultés sur la lutte, qu’en nous présentant tous ce même objet dont le spectacle étoit autrefois si célebre, ils le montrent à notre imagination par différens côtés, & par-là servent à nous le faire connoître plus parfaitement ; de sorte qu’en rassemblant ce que chacun renferme de plus particulier, on trouve presque toutes les circonstances qui caracterisoient cette espece d’exercice.

Le lecteur est encore le maître d’y joindre une cinquieme description, laquelle, quoiqu’en prose, peut

figurer avec la poësie. Elle se trouve au XVI. livre de l’histoire éthiopique d’Héliodore, ingénieux & aimable romancier grec du iv. siecle. Cette peinture représente une lutte qui tient, en quelque sorte, du Pancrace, & qui se passe entre Théagene le héros du roman, & une espece de géant éthiopien.

Après avoir considéré la lutte en elle-même, & renvoyé les curieux à la lecture des descriptions qui nous en restent, indiquons dans quel tems on a commencé d’admettre cet exercice dans la solemnité des jeux publics, dont il faisoit un des principaux spectacles.

Nous apprenons de Pausanias que la lutte faisoit partie des jeux olympiques dès le tems de l’Hercule de Thebes, puisque ce héros en remporta le prix. Mais Iphitus ayant rétabli la cérémonie de ces jeux qui, depuis Hercule, avoit été fort négligée ; les différentes especes de combats n’y rentrerent que successivement, en sorte que ce ne fut que dans la xviij. olympiade qu’on y vit paroître des lutteurs ; & le lacédémonien Eurybate fut le premier qu’on y déclara vainqueur à la lutte. On n’y proposa des prix pour la lutte des jeunes gens que dans la xxxvij. olympiade, & le lacédémonien Hiposthene y reçut la premiere couronne. Les lutteurs & les pancratiens n’eurent entrée dans les jeux pythiques que beaucoup plus tard, c’est-à-dire dans la xlviij. olympiade. A l’égard des jeux Néméens & des Isthmiques, Pausanias ni aucun auteur ne nous apprennent, de ma connoissance, en quel tems la lutte commença de s’y introduire.

Les prix que l’on proposoit aux lutteurs dans ces jeux publics, ne leur étoient accordés qu’à certaines conditions. Il falloit combattre trois fois de suite, & terrasser au-moins deux fois son antagoniste pour être digne de la palme. Un lutteur pouvoit donc sans honte être renversé une fois, mais il ne le pouvoit être une seconde, sans perdre l’espérance de la victoire.

Entre les fameux Athletes, qui furent plusieurs fois couronnés aux jeux de la Grece, l’histoire a immortalisé les noms de Milon, de Chilon, de Polydamas & de Théagene.

Milon étoit de Crotone, & fleurissoit du tems des Tarquins. Sa force étonnante & ses victoires athlétiques ont été célébrées par Diodore, Strabon, Athénée, Philostrate, Galien, Elien, Eustathe, Cicéron, Valere-Maxime, Pline, Solin, & plusieurs autres. Mais Pausanias est celui qui paroît s’être le plus intéressé à la gloire de cet illustre athlete, par le détail dans lequel il est entré dans le second livre de ses éliaques, sur ce qui le concerne. Il nous apprend entr’autres particularités, que Milon remporta six palmes aux jeux olympiques, toutes à la lutte, l’une desquelles lui fut adjugée lorsqu’il n’étoit encore qu’enfant ; qu’il en gagna une en luttant contre les jeunes gens, & six en luttant contre des hommes faits aux jeux pythiens ; que s’étant présenté une septieme fois à Olympie pour la lutte, il ne put y combattre, faute d’y trouver un antagoniste qui voulût se mesurer à lui.

Le même Historien raconte ensuite plusieurs exemples de la force incomparable de cet athlete. Il portoit sur ses épaules sa propre statue, faite par le sculpteur Daméas son compatriote. Il empoignoit une grenade, de maniere que, sans l’écraser, il la serroit suffisamment pour la retenir, malgré les efforts de ceux qui tâchoient de la lui arracher. Il n’y avoit que sa maîtresse, dit Elien en badinant, qui pût, en cette occasion, lui faire quitter prise.

Pausanias ajoute que Milon se tenoit si ferme sur un disque qu’on avoit huilé, pour le rendre plus glissant, qu’il étoit comme impossible de l’y ébranler. Lorsqu’appuyant son coude sur son côté, il pré-