Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/44

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avec lui sur le pré luxuriant, devant la petite maisonnette nichée dans un bouquet d’acacias. Les doux esprits lui souriaient de l’extrémité du grand lac transparent au bord duquel il se plaisait à rester durant des heures entières, à écouter le bruit des vagues. Et c’étaient les esprits qui l’endormaient au frémissement de leurs ailes, dans des rêves colorés et riants, à l’heure où sa mère se penchait sur son petit lit, lui faisait au front le signe de la croix, l’embrassait et le berçait de chansons de nourrice durant les longues nuits paisibles. Mais voilà qu’apparaissait un être qui lui causait des terreurs au-dessus de son âge et versait dans sa vie les premiers poisons du chagrin. Il sentait confusément que cet être, ce vieillard inconnu pèserait sur tout son avenir, et il le regardait en tremblant et ne pouvait détourner de lui ses yeux un seul instant. Ce maudit vieillard le poursuivait partout. Au jardin, il l’épiait et le saluait hypocritement en hochant la tête derrière chaque arbuste. À la maison, il se transformait en chacune des poupées de l’enfant, et riait, et le harcelait, grimaçant dans ses mains comme un méchant gnome. À l’école, il excitait contre lui