Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/45

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ses camarades inhumains, ou bien, prenant place sur le banc, il lui apparaissait, blotti dans chacune des lettres de sa grammaire. Et pendant la nuit il s’asseyait à son chevet… Il chassait l’essaim des esprits bienfaisants qui jadis battaient de leurs ailes d’or et de saphir autour de la couchette. Il chassait aussi loin de l’enfant, et pour toujours, sa pauvre mère, et, durant des nuits interminables, il murmurait un conte fantastique, incompréhensible pour le pauvre petit, mais qui le déchirait et l’agitait de terreurs et de passions prématurées. Et sourd aux sanglots, sourd aux prières, le vieux continuait jusqu’à ce que sa victime tombât dans une torpeur voisine de l’évanouissement… Tout à coup l’enfant se réveillait homme fait : des années avaient passé, il retombait brusquement dans sa situation actuelle, et brusquement il comprenait qu’il était seul et étranger dans le monde entier, seul parmi des gens mystérieux et sujets à caution, parmi des ennemis toujours réunis dans un coin de la chambre obscure, et chuchotant entre eux, et échangeant des signes d’intelligence avec la vieille accroupie auprès du feu, qui leur montrait du geste le malade et puis