Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/91

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france, et quand le cœur est oppressé, malade, accablé de chagrin, les souvenirs le rafraîchissent et le raniment, comme après une journée brûlante la rosée d’une soirée humide rafraîchit et ranime la pauvre petite fleur que les ardeurs du soleil ont desséchée.

Ma mère entra en convalescence, mais je continuai à passer les nuits assise à côté de son lit. Pokrovsky me prêtait souvent des livres ; je les lus d’abord pour me tenir éveillée, puis ils m’intéressèrent davantage, et finalement je les dévorai avec avidité. Tout un monde jusqu’alors inconnu se découvrit soudain devant moi. Je fus comme inondée par un large torrent d’idées, d’impressions nouvelles. Et plus l’assaut de ces sensations fut rude, tumultueux, troublant, plus aussi elles me furent chères, plus elles secouèrent voluptueusement toute mon âme. Tout d’un coup, brusquement, elles se répandirent en masse dans mon cœur sans le laisser respirer. Un chaos étrange commença à agiter tout mon être. Mais cette violence morale ne put me détraquer complètement. J’étais trop rêveuse, c’est ce qui me sauva.

La guérison de ma mère mit fin à nos entrevues du soir et à nos longues conversations ;