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Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/153

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son pays, a été autorisé, par moi, à exécuter lui-même la sentence.

— Sur lui-même ?

— Oui, il préfère couper lui-même le membre condamné.

— Lequel ?

— Le pied ! le pied seulement ; un guerrier qui a abandonné ses armes n’étant plus digne de suivre l’armée.

— Et cet homme va se couper le pied lui-même ?

— Le voila : tu vas en juger.

— Tu ne pourrais lui faire grâce ?

— Impossible ! aux yeux des noirs ce serait un acte de faiblesse ; tu ne connais pas ces gens-là, vois-tu ; et puis, faut-il l’avouer, c’est un spectacle dont ils ne voudraient pas être privés.

— Pouah !

— Ah ! mon cher, nous sommes ici en pays sauvage, comme vous dites si bien dans ton beau Paris, et il ne faut t’étonner de rien ; tu en verras bien d’autres.

Cependant le cercle des curieux venait de s’élargir.

Le patient, un noir à la peau bistrée, aux cheveux crépus et laineux, aux yeux jaunes, au nez écrasé, était arrivé sans entraves, accompagné seulement de sa femme et de deux Soudanais, ses gardiens.

Il portait un énorme faix de bois qu’il déposa à terre.

Il s’assit ensuite et se mit à fumer avec la plus grande insouciance, pendant que sa femme, une lourde négresse du Gabon, aux seins flasques et pendants, allumait un grand feu.

Elle vint ensuite s’accroupir auprès de lui, faisant tourner une large plaque de cuivre qu’elle tenait à la main.

Quand le bois fut réduit à l’état de charbons incandescents, elle y plongea sa plaque de cuivre, puis retira de son pagne un paquet d’herbes de plusieurs espèces et se mit à les broyer avec de l’huile de palme au fond d’une calebasse.

Dès que ces préparatifs furent terminés, le condamné, toujours impassible, fit signe à sa femme de s’approcher.

Celle-ci prit le pied de son mari dans ses mains, et, muni d’un coutelas très acéré, l’homme en deux coups circulaires vigoureusement donnés, se désarticula la cheville.

Le pied tomba sanglant et inerte sur le sol.