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Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/203

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Les paroles hautaines qu’elle lui avait jetées à la face, ses regrets, l’explosion de son amour pour le rival exécré, tout cela formait dans ses oreilles un bourdonnement funèbre au milieu duquel le mot « jamais » tintait comme le son lugubre de la cloche des morts.

Non, jamais elle ne serait à lui ; il le comprenait maintenant, et il s’était bercé d’un espoir insensé en espérant faire oublier l’autre.

Ah ! que n’avait-il pu l’enlever, la prendre de force, l’emmener avec lui au milieu de ce Sahara au-dessus duquel il allait planer dans quelques jours.

Quelle volupté il eût éprouvée à la tenir en sa possession, seule, abandonnée, au bord d’une dune de sable, livrée à sa merci, et, à son tour, se tordant à ses pieds !

Quelle jouissance divine de se venger de ses mépris hautains en la prenant, en étouffant sur ses lèvres le nom de l’autre !

Mais il porta la main à son front ; de nouveau, la fièvre le reprenait, ses tempes battaient avec force, et, se penchant davantage, il se demanda un instant, le haut du corps au-dessus de l’abîme, s’il n’allait pas faire le saut libérateur qui le délivrerait à jamais de l’intolérable torture.

À ce moment, l’aérostat passait au-dessus de Decize.

La petite ville apparaissait tout entière avec la netteté d’un plan ; les nombreuses cheminées de ses usines vomissaient des torrents de fumée noire et le grondement des hauts fourneaux montait jusqu’au ballon.

Comme ce serait vite fini, de cette hauteur !

Il serait mort asphyxié, avant d’arriver.

Il ne sentirait même pas le choc sur le toit des maisons ou le pavé de la rue.

Mais cette idée ne fit que passer : il y avait dans cet homme un fonds de fatalisme déposé par dix siècles d’atavisme, et il murmura machinalement : « Mecktouh », C’était écrit.

Il se rejeta en arrière et ses yeux tombèrent sur un paquet qui avait roulé dans un coin, sous la quille d’un des bateaux de sauvetage.

Il le ramassa.

Et soudain ses yeux s’agrandirent, lorsqu’il lut ces mots